De notre envoyé spécial à Istanbul Youcef Salami La 12e édition du forum international d'Istanbul, «Musiad», a été organisée les 22, 23 et 24 octobre dernier, dans la capitale turque. La Musiad, une manifestation économique et commerciale de taille, est organisée une fois tous les deux ans. L'édition 2008 a réuni 2 200 participants venus de 62 pays. L'Egypte, par exemple, s'y est fait représenter par 300 opérateurs, l'Algérie par une poignée. La rencontre, organisée dans un luxueux hôtel de la banlieue d'Istanbul, a été rehaussée par la présence du Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan. Celui-ci, au cours d'une intervention, fortement ovationnée, a mis en exergue les efforts consentis par son pays pour se réformer, se développer, se préparer à des négociations difficiles, si jamais elles ont lieu, avec l'Union européenne. Erdogan, en accélérateur des réformes, s'est fait, et c'est normal, le promoteur de la Turquie, un pays aux potentialités immenses qui veut tirer profit des opportunités dont il dispose en matière d'investissement, mais aussi de géographie. Il l'a fait, l'espace d'un forum. Etat aux frontières multiples, la Turquie a réussi à diversifier le panorama de ses partenaires, aussi bien économiques que commerciaux. Elle entretient du commerce avec l'Irak, l'Iran, la Syrie, l'Azerbaïdjan, l'Ouzbékistan, l'Albanie, le Kosovo ainsi qu'avec certains pays de l'UE. Le pays s'est fait connaître dans le concert des pays développés. La Turquie vient d'être élue membre non permanent au Conseil de sécurité. C'est le dernier exploit en date qu'elle réalise. Et, les Turcs en sont fiers, note Tayyip Erdogan devant le Forum international d'Istanbul. Aux plans économique et commercial, la péninsule anatolienne est arrivée à s'imposer sur certains marchés autrefois monopolisés par des Etats aux économies solides ; elle est passée du tout au tout ou presque, en si peu de temps. Sans perdre de vue l'Occident, la Turquie se tourne vers l'Orient. Un positionnement ? Il y a quelques années, elle exportait vers le Pakistan, par exemple, pour 57 millions de dollars, elle en importait pour 118 millions de dollars. Un volume en deçà de ce que veulent les Turcs, comme le souligne d'ailleurs le ministre du Commerce extérieur, venu défendre les réalisations de l'actuel gouvernement devant cette 12e édition du forum d'Istanbul. Pour un bon maillage du commerce, la stratégie turque tient en une idée : multiplier les accords de libre-échange avec les pays de la région moyen-orientale. Et c'est ce qui a été fait, non seulement avec le Pakistan mais également avec l'Egypte, la Syrie et d'autres pays. L'accord de libre-échange avec Islamabad a permis de faire évoluer le commerce dans des proportions plus ou moins acceptables. Des indices ? Sur les trois dernières années, les exportations turques ont ainsi atteint 177 millions de dollars, ses importations 531 millions de dollars. Avec l'Egypte, un pays avec lequel la Turquie est également liée par un accord de libre-échange, les investissements turcs se sont établis à deux milliards de dollars. Le pays s'est frayé aussi un chemin dans des pays où la concurrence est rude comme c'est le cas en Arabie Saoudite et aux Emirats arabes unis. Le ministre du Commerce extérieur turc, en parlant de l'offensive et du dynamisme de son pays dans la région, a eu cette phrase : «Je leur ai dit [aux pays pétroliers, ndlr] ceci : vous avez des dollars et des projets, nous avons la technologie et le savoir ; on pourra faire beaucoup de choses ensemble.» Et c'est là une stratégie qui paye : la Turquie ayant remporté un ensemble de marchés dans ces pays, des contrats qui se chiffrent en milliards de dollars. Mais tout n'est pas rose dans la région, les Turcs ayant éprouvé d'énormes difficultés à arracher des accords de libre-échange avec certains pays comme la Jordanie, un Etat aux intérêts colossaux avec les Etats-Unis, mais aussi avec les Vingt-sept, avec lesquels la Jordanie est liée par un accord d'association. C'est dans l'ordre normal des choses que les Jordaniens n'acceptent pas que des produits turcs fassent concurrence aux produits en provenance de l'UE ou des Etats-Unis. Le même problème semble se poser avec la Tunisie ou encore l'Algérie. Voyant grand, les Turcs sont présents en Afrique du Nord, même si, et ils le savent, parvenir à des accords de libre-échange avec tous les pays du Maghreb paraît difficile, dans l'immédiat du moins. Avec le Maroc, les Turcs sont cependant arrivés à conclure un accord dont les retombées ne se font pas attendre. Le volume des échanges ave le royaume chérifien est en effet passé de 250 millions de dollars, avant l'accord en question, à 920 millions de dollars après l'accord. Concernant l'Algérie, avec ou sans accord de libre-échange, le produit «made in Turkey» s'est imposé dans le circuit informel. Les trabendistes algériens se sont fait une réputation dans le négoce du textile et autres produits turcs. Quand ils séjournent en Turquie, ils se sentent chez eux. Ils connaissent les commerçants turcs et les commerçants turcs les connaissent ; les produits bon marché, ils en maîtrisent les réseaux, que ce soit à Istanbul ou dans d'autres grandes villes de la péninsule anatolienne. Les Douanes turques leur sont familières. Avec 1 euro pour 2 lires turques, un simple calcul arithmétique permet de dire que les «importateurs» algériens rentrent dans leurs frais. Il faut dire, en résumé, que les trabendistes algériens trouvent leur compte dans la péninsule. Les Turcs aussi. Si le taux de remplissage du vol de la compagnie aérienne turque (TK), Alger-Istanbul, est élevé, c'est en partie grâce à ces «importateurs» de textile. Indépendamment du commerce, les Turcs marquent une forte présence sur le marché algérien. Des entreprises turques y travaillent sur un certain nombre de projets, notamment dans le secteur des travaux publics et de l'hydraulique. La Turquie demeure parmi les pays les plus assidus dans la participation à la Foire internationale d'Alger (FIA). Pays à majorité musulmane, dirigé aujourd'hui par un parti de la mouvance islamiste, qualifiée de modérée, la péninsule anatolienne ambitionne, par ailleurs, de développer un partenariat avec les pays musulmans. Et c'est là l'un des objectifs que se donne la «Musiad». Les exportations turques vers les pays musulmans comptent pour 24% dans le commerce extérieur, les importations pour 15%. Ces proportions, les autorités turques veulent toutefois les augmenter dans les années à venir. C'est un pari qu'elles se fixent. Et elles sont en mesure de le tenir, les pays musulmans constituant un «grand» marché en «pleine expansion» aujourd'hui, une «destination qui a de l'avenir», estiment des conférenciers intervenus lors de cette 12e édition de la «Musiad». Deux points focaux revenaient en réalité dans leurs propos : développer non seulement le commerce et l'économie entre pays musulmans mais surtout la finance. La finance islamique semble faire tendance depuis quelques années. Et le forum international d'Istanbul l'a mise en exergue. Des participants l'ont ardemment défendue, soutenant que les pays musulmans doivent tirer avantage de la crise financière internationale actuelle qui a, à leurs yeux, démontré les limites du capitalisme et emporté l'impérialisme. Ce capitalisme, relèvent-ils, fait vendre du vent, allusion aux transactions sur papier, produit de la spéculation qui a ruiné des économies, des marchés. Les pays musulmans, vendent, eux, des marchandises, renchérissent-ils. En tout cas, les animateurs de ce forum ont proposé que soit créé un fonds monétaire des pays musulmans, à l'identique du FMI. Ils disposent actuellement d'une banque islamique dont le vice-président était présent à la rencontre internationale d'Istanbul. Ce dernier a d'ailleurs fait une longue intervention au cours de laquelle il a parlé des efforts déployés par cette institution. Il a énuméré les projets qu'elle a financés dans beaucoup de pays arabes et musulmans. L'Algérie n'en a pas bénéficié. Il a également mis en relief les conséquences issues de la crise financière internationale ; cette problématique, les membres de la BI en ont discuté le 25 octobre dernier au cours d'une réunion, dont l'annonce a été faite au cours des débats de ce forum. Le vice-président de la BI a par ailleurs loué l'attention accordée par l'Etat turc à l'organisation de ce forum. De même, il a souligné, en termes élogieux, l'essor de développement accompli ces dernières années par les Turcs. Cela dit, il l'a moins bien fait que le Premier ministre turc Tayyip Erdogan, qui, dans une allocution très attendue, brillamment faite et fortement applaudie, a beaucoup parlé de la Turquie d'aujourd'hui, un pays en marche vers l'avenir. Tayyip Erdogan, l'invité d'honneur de cette 12e édition, a d'abord situé le contexte dans lequel se tient cette rencontre de dimension internationale, non sans évoquer, bien évidemment, la crise internationale actuelle, ainsi que le terrorisme qui affecte son pays. Il fait savoir, en termes rigoureux, fermes, que ce qui se passe en Turquie, allusion aux Kurdes, n'est pas seulement l'affaire de l'Etat turc. Mais, ajoute-t-il, si, aujourd'hui, il concerne seulement la Turquie, le terrorisme pourrait frapper d'autres pays de la région. Aussi, il formule qu'il faut «conjuguer les efforts de tout le monde pour éradiquer ce fléau». Le Premier ministre turc explique que les terroristes ne veulent pas que la Turquie ait des projets, qu'elle se développe, parce que, si elle y arrive, ils - les terroristes - perdront leurs bases arrière. Le pays est en train de mener des projets, beaucoup de projets dans les domaines de l'hydraulique, de l'énergie et du bâtiment (infrastructures diverses, tunnel sous la mer pour rallier des pays voisins, etc), annonce-t-il. Tayyip Erdogan avance une multitude de chiffres pour illustrer l'effort consenti par le gouvernement qu'il conduit. Le pays enregistre, depuis cinq ans (comprendre depuis l'arrivée au pouvoir de la formation politique dont il est responsable), une croissance de 6,8%,, un PIB qui tourne autour de 750 milliards de dollars à fin 2008. Et, ce n'est pas tout, la Turquie a réussi à faire énormément de progrès au plan économique. Elle est classée aujourd'hui parmi les 17 premières économies au monde, et occupe la 6e position à l'échelle européenne. Le Premier ministre turc fait par ailleurs remarquer que son pays a opéré une révolution dans le système de la sécurité sociale et de la technologie. Au chapitre des relations internationales, l'élection de la Turquie au poste de membre non permanent au Conseil de sécurité, Erdogan s'en réjouit et remercie l'ensemble des pays, dont l'Algérie, qui l'ont appuyée dans ce vote. Ce poste, l'Etat turc va l'occuper pendant deux ans (2009-2010). Fût-il non permanent, il est cependant de nature à renforcer la position de la péninsule anatolienne aux plans géopolitique et géostratégique. C'est une bataille de gagnée pour un pays qui veut avoir une place dans l'UE. Le projet d'adhésion à l'Union européenne, les Turcs, et c'est un paradoxe, n'en débattent pas suffisamment actuellement. Globalement, ils sont pour cette adhésion. Seuls les nationalistes émettent des réserves, explique-t-on. Le parti d'Erdogan fait tout pour que l'accès à l'espace européen se fasse dans les meilleurs délais possibles. «Et il y travaille», disent ses ministres. La péninsule anatolienne se veut séduisante face à une Europe peu hospitalière lorsqu'il agit de pays à la culture différente. Pourtant, la Turquie se différencie peu des pays européens. La formation islamique au pouvoir a déjà engagé des réformes sur tous les fronts. Un lifting extraordinaire a été ainsi opéré dans le secteur bancaire, il y a quelques années. Des officiels turcs de la mouvance islamique notent que les institutions financières ont été repêchées, car elles étaient au bord du gouffre lorsque le parti est arrivé aux commandes de l'Etat. Le pays a également introduit des réformes dans la politique monétaire et financières et les résultats qui en découlent sont jugés satisfaisants, selon le Premier ministre turc. Est-ce suffisant ? En tout cas, nombre de pays de la vieille Europe s'opposent à ce projet d'accès. Et les Turcs se savent indésirables, rejetés par certains pays à l'hostilité avérée. De ce chapitre, Erdogan en parle. Et abondamment. L'attitude des Européens, il ne la comprend pas. Il déclare cependant qu'il est contre le choc des civilisations, allusion justement aux relents culturels et religieux dont certains Européens parlent, du moins en privé, pour empêcher la Turquie d'accéder à l'Union européenne. Les Turcs reconnaissent toutefois qu'ils sont appelés à faire montre davantage de réformes en matière de démocratie et de droits de l'Homme. Dans le domaine de la presse, la Turquie marque une longueur d'avance par rapport à bon nombre de pays. L'audiovisuel n'y est plus l'apanage de l'Etat depuis plusieurs années. Le secteur a fait émerger de nombreuses chaînes de télévision privées où le débat contradictoire fait partie des grilles classiques. Dans la presse écrite, tabloïds, et «grands formats» d'expression turque et anglophone meublent les kiosques. Le pays fait bonne presse. Tout cela compte, certes, dans le paquet des critères que l'UE exige des Turcs, mais pas assez, semble-t-il. C'est pourquoi les autorités turques essayent de se replacer et de jouer sur d'autres atouts. C'est par l'économie, dont le tourisme est une priorité absolue, qu'elles veulent s'imposer, réussir leur arrimage à l'Europe. C'est dans ce cadre qu'elles organisent, chaque année, par exemple, la foire d'Istanbul. C'est une importante manifestation économique et commerciale pour se faire connaître et faire connaître les produits turcs. L'édition 2008, ouverte le 23 octobre dernier, a regroupé des centaines de sociétés venues exposer leurs produits, faire connaître leur savoir-faire. L'Algérie n'y a pas pris part. La foire d'Istanbul est pourtant une belle occasion de nouer des accords de partenariat, de promouvoir le relationnel. Les Turcs, rompus aux formes d'organisation de foires et expositions, ont rendu attractif le rendez-vous d'Istanbul et en ont fait une destination régionale incontournable. La foire d'Istanbul est composée de stands d'exposition, mais également de conférences-débats et de forums qui permettent de mettre en exergue les progrès que la péninsule anatolienne a réalisés, et de présenter les opportunités qu'elle offre dans les domaines de l'investissement, du partenariat, du tourisme. Ce dernier est un secteur florissant, grand pourvoyeur de devises, les touristes, venant des quatre coins du globe, se comptent par millions. Ils s'offrent une palette de sites historiques, de monuments à visiter : le site Constantinov, la Mosquée bleue, (un patrimoine de l'époque ottomane), l'église Aya… Les gens qui se rendent en Turquie en touriste ne peuvent pas, à l'évidence, ne pas visiter le Bosphore, un détroit majestueux, un don du ciel à la Turquie. Le Bosphore relie la mer Noire à la mer de Marmara et marque, avec les Dardanelles, la limite méridionale entre les continents asiatique et européen. C'est une voie navigable internationale. Au loin, dans les eaux du Bosphore, on voit des navires en cale sèche, d'autres en mouvement. Le Bosphore est prisé par les amateurs de pêche à la ligne. Aux alentours du détroit, un décor panoramique festif. Bons vivants, les Turcs aiment déambuler dans Istanbul. Seule fausse note, les embouteillages. Aux heures de pointe, on roule pare-chocs contre pare-chocs. Par endroits, les files d'embouteillage s'étirent sur des dizaines de kilomètres.