A peine a-t-il fini son discours qu'un tonnerre d'applaudissements a ébranlé le Palais des nations. Debout, face à la tribune présidentielle, la nombreuse assistance, composée des membres des deux Chambres du Parlement, du gouvernement et d'autres invités de marque, a longuement acclamé, hier, l'hôte de l'Algérie. Jacques Chirac venait de prononcer un discours historique dont les élus du peuple et tous les Algériens se souviendront longtemps. “La France est heureuse et fière de faire entendre sa voix sur le sol d'Algérie, dans la capitale de votre grand pays, au sein de ce Palais des nations, lieu symbole où vous m'avez invité à parler en son nom”. C'est avec cette déclaration très élogieuse que le président français a ouvert son cœur et ses bras pour offrir aux Algériens seize pages de générosité, d'amitié et de fraternité, tout au long d'une allocution suivie et écoutée dans un silence religieux. “C'est l'émotion des retrouvailles qui nous étreint”, reconnaît Chirac d'une voix empreinte de solennité et de sincérité. Mais il n'y a pas que cela. Pour prouver sa bonne foi, le locataire de l'Elysée a fait montre de la grande disponibilité de son pays à accompagner notre pays dans son élan de développement. Il n'a, ni plus ni moins, proposé une offre de services aux dirigeants algériens. “Partenariat exceptionnel”, “une nouvelle alliance algéro-européenne”, “vous pouvez compter sur le plein soutien de la France et de l'Union européenne”, “je tiens à vous assurer de notre entière disponibilité, si vous le souhaitez”, “la France peut vous aider à relever de nombreux défis”, “la France restera votre meilleur avocat auprès des institutions financières internationales...”, sont autant de professions de foi, de gages de solidarité et d'engagements concrets de l'Hexagone. Dans son désir “d'aller plus loin”, avec notre pays, Jacques Chirac a annoncé, tout heureux, la signature imminente d'un traité d'amitié franco-algérien, le même qui a consacré la réconciliation entre la France et l'Allemagne. Le fait est exceptionnel dans la mesure où aucun autre pays au monde n'a bénéficié de tant d'égards. Et comme prélude à cette idylle naissante, une déclaration a été signée, dimanche, par les deux chefs d'Etat, qui “scelle l'entente entre nos deux peuples et témoigne de notre vision partagée de l'avenir”. Manifestement, entre Alger et Paris, rien ne sera plus comme avant. Pour le meilleur et pour le pire. A commencer par la reconnaissance publique et officielle de la Guerre d'Algérie qui “longtemps ne voulut pas dire son nom. Elle fut meurtrière, parfois inexpiable”, admet le président de l'ancienne puissance coloniale. De ce passé commun qu'il souhaite voir assumer de part et d'autre, Chirac ne veut point s'attarder sur les “ombres et les déchirures” préférant s'appesantir plutôt sur “ses pages de vie et d'harmonie” comme celles écrites, selon lui, au lendemain de l'indépendance par De Gaulle et les dirigeants du jeune Etat algérien qui avaient jeté les jalons d'une coopération entre les deux pays. A cet édifice inachevé et ajourné par les méandres de l'histoire commune, Jacques Chirac entend redonner de la consistance. C'est cela, le sens profond de la refondation chiraquienne. Du “lien charnel” à la francophonie, en passant par l'économie, tout, à ses yeux, plaide pour cette synergie tant recherchée. “Nous avons à notre disposition tellement d'atouts pour y parvenir. Privilégions ce qui nous unit, par le cœur et la raison”, a-t-il souhaité. Et le président français ne se contente pas de faire dans l'incantation. Il semble même convaincu que lui et le président Bouteflika — qu'il a encensé à plusieurs reprises — peuvent matérialiser cet ambitieux projet. “Ces trois dernières années, nous avons donné une nouvelle vigueur à notre relation. Notre dialogue politique s'est enrichi. Nous avons multiplié visites officielles et rencontres informelles. Nous avons renforcé nos échanges”, a-t-il indiqué. Dans les faits, cette redynamisation s'est traduite d'après Chirac, par l'augmentation fulgurante du volume des échanges économiques qui sont passés du simple au double depuis l'élection de Bouteflika en 1999. Tout en mettant l'accent sur la présence appréciable d'entreprises françaises dans des domaines aussi variés que les hydrocarbures, l'agroalimentaire, le pneumatique et le secteur bancaire entre autres. L'invité de Bouteflika affirme que “la France veut continuer à contribuer ainsi à l'effort de diversification de l'économie algérienne, à la création d'emplois, à la formation des travailleurs”. Il a, à cet égard, assuré l'entière disponibilité de la France à soutenir le programme de la relance économique et le développement des infrastructures et des investissements privés, “autant que vous le déciderez”, a-t-il insisté. Toujours au chapitre de la coopération, l'orateur fera remarquer que son pays “a mis tous ses outils d'aide au développement à la disposition de l'Algérie, et au service des réformes qu'elle a courageusement entreprises”. Il est notamment question d'un fonds de solidarité prioritaire en direction des PME-PMI, de la formation professionnelle, du développement agricole et de l'enseignement. Sur ce dernier point, Jacques Chirac a noté la signature d'une dizaine d'accords entre les universités algérienne et française, le séjour scientifique d'un millier d'experts français au cours de l'année 2002 et la mise en œuvre d'un haut conseil franco-algérien de coopération universitaire et de recherche. Et pour mieux illustrer le “retour” de la France après une décennie d'embargo, il a évoqué ce qu'il considère comme d'autres signes de renouveau, à l'instar de la réouverture des centres culturels français à Alger, Oran et Annaba et celle prochaine des CCF à Constantine et Tlemcen, ainsi que l'inauguration, en décembre dernier, du lycée international Alexandre-Dumas. Cependant, l'Année de l'Algérie en France constitue, aux yeux de Chirac, “le plus fort symbole de nos liens nouveaux, le signe évident que le moment est venu d'une nouvelle alliance algéro-française”. Un “pacte” qui suppose “des échanges entre les hommes”, a dit Chirac qui promet au passage la poursuite des efforts tendant à améliorer la libre circulation des personnes. Très attendu sur cette question des visas, le président de la France n'a pas fait d'annonce spectaculaire. Il reste, tout de même, que Jacques Chirac s'est montré enthousiaste et décidé à concrétiser ses promesses. Ce n'est d'ailleurs pas fortuit qu'il ait insisté sur le fait que sa visite est la première du genre, d'un chef d'Etat français depuis l'indépendance de l'Algérie. La cause est entendue, et les actes attendus... S. L. / H. M.