Le siège du commissariat est partiellement démoli par la déflagration qui a soufflé les cloisons, arraché les portes et les plafonds. À l'intérieur, tout est pêle-mêle : des meubles, des documents administratifs, des effets vestimentaires. Minuit tapante en ce dimanche 29 octobre 2006. Une explosion retentit à Réghaïa. L'onde de choc est si puissante qu'elle a été ressentie à Alger (à l'Ouest) et Boudouaou (à l'Est). Quelques instants après la déflagration, les sirènes des ambulances évacuant les blessés vers l'hôpital de Rouiba déchirent le silence de la nuit, tirant brusquement les habitants de leur sommeil. Pas les couche-tard qui ont vécu “en live” le drame. À l'exemple de Aziz, propriétaire d'une boulangerie sur la rue principale dont les trottoirs sont jonchés de bris de verre. “J'étais devant le magasin avec mes copains, soudain on a entendu des klaxons puis des éclats de voix du côté de la placette. On a pensé qu'il s'agissait d'une bagarre. Alors qu'on s'apprêtait à aller voir ce qui se passe, quand l'explosion se produit, puis c'est la panique, c'est le sauve-qui-peut”, raconte t-il, tout tremblotant encore de frayeur et d'émotion. Comme ses copains qui sont venus le rejoindre, les uns après les autres pour faire part de ce qu'ils venaient de vivre. Au niveau de la place centrale, une demi-heure après l'explosion, l'odeur de poudre empeste l'air. Images d'apocalypse Les badauds, encore en état de choc, sont tenus à l'écart par un cordon de policiers qui s'affaire déjà à dresser un périmètre de sécurité pour isoler la zone ciblée. Le siège du commissariat est couvert d'un épais nuage de fumée mêlée à de la poussière, tandis que les alarmes des véhicules stationnés dans les parages du bâtiment policier continuent de retentir. Véritable décor surréaliste au beau milieu de la nuit, “Karitha ! Karitha ! (catastrophe) lance un homme, tout le quartier est en ruine, il y a beaucoup de morts et des blessés”. Visiblement, c'est l'effet de la panique qui lui fait dire ces propos alarmistes, car le bilan, à une heure du matin est de 1 mort et de 14 blessés, selon les premières estimations convergentes de la police et de la protection civile. Si les pertes humaines sont minimes, il n'en est pas de même des dégâts matériels. Le siège du commissariat (sûreté urbaine) est partiellement démoli par la déflagration qui a soufflé les cloisons, arraché les portes et les plafonds. À l'intérieur, tout est pêle-mêle : des meubles, des documents administratifs, des effets vestimentaires. Véritable capharnaüm sous l'œil scrutateur des agents de la protection civile et de la police scientifique, fouillant les ruines, à la recherche d'indices. La façade opposée au commissariat est sérieusement endommagée, notamment les trois magasins du rez-de-chaussée, un restaurant, un distributeur de matériel électronique, une boutique de cosmétiques, dont les rideaux sont éventrés par le souffle. Cinq véhicules stationnés en bordure du trottoir ne sont plus que des amas de tôles calcinées, couvertes de poussière. L'endroit où le véhicule a explosé est un énorme cratère vite envahi par les eaux d'une conduite qui a éclaté. Modus operandi Les témoignages recueillis sur place convergent quant à la manière avec laquelle les membres du commando ont exécuté leur coup. “Ce sont trois jeunes habillés en survêtement, arrivés dans un camion Toyota de couleur bleue. Ils l'ont garé près du commissariat”, raconte un témoin qui a suivi de l'autre côté de la rue les étapes de l'attentat. Selon sa version, recoupés par d'autres personnes présentes, deux des membres du commando se sont dirigés vers le siège de la BMPJ qui jouxte celui de la Police urbaine sur lequel ils ont lancé une grenade avant de tirer plusieurs coups de feu. Les impacts de balle étant visibles sur les barreaux métalliques qui surplombent le mur d'enceinte du siège. “En lançant leur grenade, les terroristes voulaient attirer vers eux les policiers qui se trouvent à l'intérieur du siège”, croit deviner un autre témoin. Et de poursuivre : “Heureusement qu'ils (les policiers) ont vite compris qu'il s'agit d'un piège, ils ont riposté de l'intérieur.” Pendant que les deux membres du groupe tiraient à feu nourri sur le siège de la BMPJ, le troisième réglait la minuterie de l'explosion, décrit encore le même témoin. “Eloignez-vous ! Eloignez-vous !” avertissaient, selon lui, les trois terroristes qui se sont précipités à l'intérieur d'une Clio attendant à quelques mètres du lieu de l'attentat. Direction : Boumerdès par la route du littoral. Se produit juste après la terrifiante déflagration qui replonge ex abrupto les habitants de Réghaïa dans les nuits dantesques des années de terreur. Une Toyota bourrée d'explosifs Le véhicule utilisé pour les besoins de l'attentat est une Toyota. Tous les témoignages se recoupent. Mais l'importance de la charge, “plus de 100 kg d'explosifs”, selon des policiers, a fait qu'il a été littéralement pulvérisé. La partie supérieure du moteur, la culasse, a été projetée à plus de 50 mètres du lieu de l'explosion, où l'on a retrouvé aussi une partie de la tôle de la cabine toute froissée. Tout autour du cratère sont éparpillés des organes du moteur, comme les roulements, les jantes des roues. L'essieu du camion est projeté à plus de 100 mètres de l'autre côté de la rue qui fait face au siège. Dans sa chute, il a endommagé deux véhicules de marque Renault. De l'autre côté du commissariat (100 mètres environ). C'est dire encore l'importance de la charge explosive. Mais c'est dire surtout l'ampleur de la tuerie, si l'attentat s'était produit en plein jour. “Il y aurait eu des centaines de morts et de blessés si cela s'était produit dans la journée”, conviennent unanimement les personnes interrogées. “leur but ce n'est pas de s'en prendre à la population, mais uniquement aux forces de sécurité”, estime pour sa part un des riverains dont la maison a subi des dommages matériels en plus d'une forte commotion pour les membres de sa famille. Hôpital de Rouiba, le ballet nocturne des ambulances Branle-bas au service des urgences de l'hôpital de Rouiba, où les blessés sont évacués pour les premiers soins. Quatorze au total. “La plupart présentent des contusions ou des lésions cutanées, mais leur état n'est pas préoccupant”, assure un des médecins de garde. Un des blessés, la quarantaine à peu près, résidant en face du commissariat et quelque peu remis de son choc raconte : “Ils (les terroristes) ont allumé les feux de détresse du camion, ils ont ouvert les portières. C'étaient des jeunes, bien habillés, qu'on ne soupçonnerait pas de faire autant de mal. Ils n'étaient pas paniqués, ils agissaient froidement.” Dans l'après-midi d'hier, une autre victime résidant à la cité DNC a succombé. Ce qui porte le bilan à deux morts et treize blessés dans cette attaque terroriste de Réghaïa dont les habitants doutent des vertus de la réconciliation. N. S.