“Personne, à tous les niveaux de la hiérarchie de l'Etat, n'est en mesure de dire comment il voit l'Algérie dans les quelques années à venir. Simplement parce que les gens ne sont pas préparés aux responsabilités qui sont les leurs.” Ahmed Benbitour, l'ancien chef de gouvernement, a tenu ces propos jeudi lors de la vente-dédicace de son ouvrage intitulé Radioscopie de la gouvernance algérienne. La séance de dédicaces a eu lieu à la librairie Point-virgule de Chéraga. Ce constat, établi après avoir été à la tête du gouvernement, est le reflet du contenu de son livre paru aux éditions Edif 2000. Structuré en 10 chapitres, cet essai se veut une analyse qui décrit l'Algérie, comme il est noté en quatrième de couverture, avec, d'un côté, ses atouts et opportunités et, de l'autre, ses faiblesses et dérives qui relèvent essentiellement de l'état de fonctionnement des institutions. Et c'est justement en raison de ces choix que Benbitour a opté pour une décision plutôt rare dans les mœurs politiques du pays : démissionner. Les raisons en sont largement évoquées dans le chapitre VIII, qu'Ahmed Benbitour résume en ces termes : “J'ai démissionné pour des raisons très simples : C'est à cause de l'utilisation des institutions législatives pour des raisons de gestion qui relèvent de l'exécutif. Cela veut dire qu'on a utilisé l'arme de la loi pour gérer des affaires ordinaires.” Il devenait donc normal pour celui qui, justement, était chargé de l'exécutif de quitter ses fonctions. Dans ce recours répétitif à la loi, Ahmed Benbitour y voit “un manque de professionnalisme aggravé d'une vision dépassée de la gestion des affaires publiques. Le monde change et le changement s'accélère, alors qu'en Algérie on reste dans une conception dépassée. C'est plus un état d'esprit qu'autre chose. Pour ma part, j'avais une vision avant-gardiste et, malgré cela, j'ai fais preuve de beaucoup de conciliation”. Cela étant, comment le titulaire d'un doctorat en sciences économiques, obtenu à l'Université de Montréal, et d'une maîtrise en gestion des affaires, de l'Ecole des hautes études commerciales de la même université, voit-il l'avenir de l'Algérie ? “L'Algérie dispose d'une réserve financière en devises qui lui permettra de tenir quelques années. Mais le problème risque de se poser au budget de fonctionnement de l'Etat. 76% des recettes proviennent de la fiscalité pétrolière. Si le prix du pétrole venait à chuter brutalement, l'Etat n'aura pas les ressources nécessaires à la réalisation des projets qui ne sont qu'un instrument de développement. Alors, on retombera dans la même situation qui prévalait lors de la première moitié des années 1980, marquée par un énorme déficit budgétaire.” C'est donc un constat peu rassurant quant à l'avenir immédiat de l'Algérie que fait Ahmed Benbitour, qui a occupé plusieurs fonctions de responsabilité au sein de l'administration des entreprises publiques et enseigné l'économie et le management dans plusieurs universités du pays et à l'étranger. Dans sa radioscopie de la gouvernance, Benbitour se pose également cette question : “Le fatalisme est-il enraciné au point de faire dériver la prestigieuse Révolution de Novembre vers un régime “patrimonialiste” où sévit un cercle de privilégiés autour du chef qui détermine l'allocation des récompenses ?” Afin d'éviter que ce scénario ne se réalise, il dit qu'il restera “une conscience pour tirer la sonnette d'alarme, autant de fois que cela est nécessaire”. SAMIR BENMALEK