C'est un chef d'Etat excédé qui a présidé, hier, la 2e rencontre gouvernement-walis. L'humeur était aussi gaie, que le ciel orageux qui domine la capitale depuis quelques jours, et le regard aussi sombre que la moquette bleu royal qui couvre l'hémicycle du Palais des nations. Et rien n'aura arrêté le déluge, version Abdelaziz Bouteflika, qui s'est abattu sur tous les représentants de l'Etat. Entre messages personnels et mises en garde, la sortie de Abdelaziz Bouteflika lui aura surtout permis de vider son sac. L'insatisfaction semble totale. Le discours du Président se voulait, loin des chiffres et des bilans, plus comme un indicateur de sa connaissance de la véritable réalité algérienne et de son mécontentement. Il profitera d'ailleurs de la célébration de la Journée internationale contre la corruption pour répondre personnellement à la polémique lancée par l'un des membres de son Exécutif. Le président du MSP en aura entendu de toutes les couleurs, mais pas des plus joyeuses. En réaffirmant l'engagement de l'Algérie à combattre ce fléau “loin de toute surenchère, de démagogie conjoncturelle dictée par des considérations personnelles ou partisanes”, le Président dira, sans nommer personnellement Abou Djerra Soltani, mais en le regardant droit dans les yeux, ce qu'il pense des accusations que ce dernier a porté à l'encontre des responsables nationaux. “Toute personne ayant des dossiers ou des preuves se doit impérativement et promptement de saisir la Justice sans autorisation préalable de qui que ce soit. Ceci sans tomber dans la délation, les règlements de compte indignes…”, indiquera Abdelaziz Bouteflika. Le président ira même plus loin. “Je dis ça tout en sachant que la liberté de la presse permet aux uns et autres de s'exprimer, ici et là… Certaines déclarations portent atteinte à la crédibilité du pays. Je n'accepterai d'aucune personne qu'elle marchande avec la réputation du pays… Je vois des responsables présents avec nous qui marchandent avec les sentiments pour des campagnes électorales. Sont-ils avec nous et portent-ils la responsabilité avec nous ? Ou bien sont-ils contre nous, ce que nous acceptons, et nous agirons avec eux comme des opposants ?” s'interrogera le chef de l'Etat. Il dénoncera également les déclarations tendancieuses faites par des responsables politiques à “des chaînes arabes” qui “portent atteinte” à la réputation de l'Algérie. “Nous détruisons notre maison de nos propres mains. Il ne suffit pas d'être dans les rangs et les structures officielles, il faut aussi en sortir. Je suis avec toute personne qui présentera les preuves à la justice. Je dénoncerai celle-ci au peuple si elle ne fait rien, mais nous n'accepterons pas cette politique…”. Les affaires de corruption ont besoin, ajoutera-t-il, de preuves. “Le verbiage est un commerce prolifique dans le pays… Nous avons suffisamment d'ennemis dans le monde, à l'intérieur et à l'extérieur, et nous n'accepterons absolument pas que l'Algérie soit salie et dévalorisée. À partir de maintenant, ceux qui font de la politique, en font à leur guise mais en dehors des rangs officiels”, précisera Abdelaziz Bouteflika. Regardant le ministre de la Justice, garde des Sceaux, le chef de l'Etat annoncera son intention de donner des directives en vue de vérifier l'authenticité des déclarations. “Chacun est responsable. Si ce n'est pas vrai, il sera poursuivi. Les aspirations personnelles ou partisanes ne se construisent pas sur le dos du pays que ce soit clair pour tous. Nous avons déjà supporté beaucoup”, menacera-t-il. Abou Djerra Soltani ne s'attendait certainement pas à une réponse aussi cinglante. Le président du MSP se refusera à la moindre déclaration à l'issue de la séance. “Pas de commentaires”, sera sa seule litanie. Un appel à une véritable démocratie participative Revenant sur l'objet de la rencontre qu'il animera tout au long de la journée, Abdelaziz Bouteflika interpellera directement les walis sur les difficultés que rencontrent les citoyens à les approcher et à leur transmettre leurs doléances. “Le gouvernement a des responsabilités nationales. Ce n'est pas possible que le citoyen s'adresse à chaque fois au président de la République pour régler un problème local. Il est plus simple à une personne de rencontrer les responsables de la Maison-Blanche ou du Kremlin que de contacter un wali ou ses adjoints. Vous devez aller sur le terrain et rencontrer les citoyens. Moi-même en tant que citoyen et avec la charge que j'occupe j'ai du mal à contacter certains walis…”. Ceci relève également pour lui de la responsabilité des formations politiques et de la société civile. Elles non plus ne seront pas exemptées de critiques. “Nous avons des partis qui dorment pour ne se réveiller qu'au moment des élections et la société civile anime les journaux, mais n'aide pas à régler les problèmes.” Il dénoncera dans ce cadre le problème de représentativité des élus locaux et les modes de désignations. “Il faut revoir la méthode de gestion des assemblées locales. Créées en 1967 sont-elles toujours adaptées ? La situation n'est plus la même. Il faut la contribution de tous, partis, organisations sociales… Il faut régler ce problème.” Il dénoncera l'opportunisme de certains élus locaux qui n'aspirent qu'à réussir et demandera la révision des modes de désignations. Au chapitre économique, il a invité la diaspora algérienne à investir en Algérie. “Nous savons tous qu'il y a des Algériens qui ont de l'argent ailleurs. Je leur garantis mille sécurités s'ils ramènent leur argent”. Aucun département ministériel, que ce soit les Finances ou un autre, ne leur créera, selon lui, de problèmes ou d'entraves à condition que ce soit dans les cadres légaux et la transparence. “Je leur garantis qu'ils pourront sortir les gains et leur argent à n'importe quel moment. C'est une pratique mondialement utilisée”. L'après-pétrole et l'avenir des générations futures Le président de la République réitérera son appel à un “sursaut national”. La nouvelle génération et l'après-pétrole sont au centre de ses préoccupations. “Le pays a changé et nous vivons avec un peuple qui a une nouvelle mentalité. Ceux qui avaient 10 ans en 1990 ont 26 ans aujourd'hui. Ils n'ont connu de l'Algérie que les massacres, la destruction et le sang qui coule. Pourquoi voulez-vous qu'ils croient en l'Algérie ou en autre chose ? Notre génération n'a aucune circonstance atténuante. Avons-nous enseigné à la nouvelle génération son histoire ? Non. Avons-nous eu une politique claire en matière de langue ? Non…” Il remettra en cause l'apport du système éducatif national en matière d'enseignement civique. “Le pays souffre d'un déficit en matière de nationalisme et de citoyenneté. Nous avons un peuple de militants mais où est le citoyen qui paye ses taxes, ses impôts, ses factures... ? On doit revoir le fonctionnement éducatif par rapport à ses matières”, avancera Abdelaziz Bouteflika. L'école privée n'est pas non plus pour lui une référence en la matière. Il s'agit pour lui d'un “défi national” et qui nécessite la contribution des experts internationaux de l'Unesco et autres organismes. Il lancera un nouvel appel aux éléments des groupes terroristes encore en activité. “La République a le cœur vaste, revenez à Dieu et Il est Clément. Mais ce sera dans le cadre de la loi. Il n'y a pas de valeurs plus importantes que la paix et la sécurité”. S'adressant aux responsables des services de sécurité présents, en l'occurrence le DGSN, Ali Tounsi, et le général-major, Boustila, commandant de la Gendarmerie nationale, il les exhortera à mener une “guerre sans merci aux bandes organisées dans les trafics de drogue, d'armes et le marché noir” ainsi que de sécuriser davantage les villes et agglomérations. Pour le président de la République, ce sont là les maux de l'Algérie. “Fuir les problèmes ne les règle pas. L'Algérie a une chance inestimable de passer un nouveau cap...” Pour le Président, attendre un éventuel “Messie ou Mehdi” ne réglera pas la situation. “Nous ne réglerons nos problèmes qu'à la force de nos bras”. S'adressant directement aux Algériens, Abdelaziz Bouteflika précisera qu'exceptionnellement aujourd'hui il est venu pour “se plaindre” et pour que chacun prenne ses responsabilités. “Tous les clignotants sont au vert, on peut dire mission accomplie, on organise des élections anticipées et salam alaykoum…”, lancera-t-il à la surprise de tous. Mais pour lui, ce n'est pas le plus important. Le problème porte à ses yeux sur la construction de l'Algérie et de l'avenir des générations futures. La dépendance vis-à-vis des hydrocarbures, l'absence d'économie alternative sont, selon lui, un véritable problème. “Ce n'est pas un disque rayé. Je suis bien placé pour connaître la situation réelle des réserves d'hydrocarbures. Mais comment faire avec un peuple qui croit qu'elles sont éternelles et avec des responsables qui agissent également comme si elles étaient éternelles ? Mais y a-t-il quelqu'un dans la salle ou le pays pour entendre cela ?” Le chef de l'Etat a certes tiré un bilan hier. Pas très joyeux ni très clair de la situation actuelle de l'Algérie. C'est un bilan moral et non chiffré. Et cela fait plus de mal. La seule manière qu'il a trouvée peut-être pour bousculer les choses et les amener progressivement à changer. Samar Smati