L'Europe qui devait faire contrepoids aux Etats-Unis n'a pas réussi à défendre une position commune face à la guerre. “Londres et Madrid s'alignent sur les Etats-Unis hors du cadre de l'Union européenne”, a affirmé, hier, le porte-parole du ministère grec des Affaires étrangères, Panos Benglitis, dont le pays exerce la présidence de l'UE. Sa déclaration vient en réaction au sommet des Açores, une sorte de conseil de guerre qui a réuni la veille, dans cet archipel du Portugal, Bush, Blair et Aznar. “Nous ne devons pas avoir l'illusion que l'UE peut d'une manière cohérente et coordonnée créer une position commune”, a-t-il reconnu avec regrets. En effet, comment entretenir encore l'illusion d'une Europe solidaire et forte alors que l'édifice monté pièce par pièce depuis 1956 se fissure, secoué par des divisions sans précèdent ? La cause, cette guerre contre l'Irak que les uns refusent alors que d'autres la soutiennent. Dans le camp des opposants, figurent la France et l'Allemagne, deux Etats résolument inscrits à contre-courant des intentions guerrières des Américains. Refusant l'hégémonisme anglo-saxon, les deux voisins du Rhin ont toujours milité pour une Europe indépendante, sans tuteur ni maître ; des velléités d'affranchissement qui leur valent actuellement, à cause de leur campagne contre les faucons, du dénigrement et de l'insulte outre Atlantique. Pour Rumsfeld, le secrétaire d'Etat à la défense, Paris et Berlin sont les figures moribondes de ce Vieux Continent, encore attaché aux vestiges de son empire colonial, enseveli sous les décombres de la Seconde Guerre mondiale et écrasé par la superpuissance du Nouveau Monde. Ressurgie pour porter la bonne parole et plaider la cause de la paix, l'Europe franco-allemande agace l'Oncle Sam. Aussi, s'est-il attelé à lui clouer le bec en lui opposant au sein de cette même Europe des voix discordantes. Ce sont Blair et Aznar qui se chargeront de la sale besogne en accusant ouvertement “leurs frères de sol” d'intelligence avec l'ennemi. Soutenant corps et âme la logique de guerre de Bush, les premiers ministres britanniques et espagnols reprocheront à la France et à l'Allemagne de faire le jeu de Saddam en lui évitant un châtiment mérité. Cependant, si pour les Britanniques cet alignement n'est guère surprenant, il l'est beaucoup moins pour les Espagnols. En Italie, le parti pris du président du Conseil Berlusconi pour les Américains est également troublant. Qu'est-ce qui a bien pu pousser Rome et Madrid à soutenir l'option de guerre de Washington ? Dans les anciennes Républiques populaires, les raisons de cet alignement pourraient s'expliquer par leur chantage financier que pourrait leur faire la Maison-Blanche. Pourtant, la plupart de ces Etats sont candidats à l'entrée dans l'UE. Que sera demain l'Europe ? Le rêve d'une grande Union qui s'entendra de l'Atlantique à l'Oural pourrait-il voir un jour, le jour ? Face à l'infidélité britannique, le président français, Jacques Chirac, a même envisagé une Europe sans le voisin d'outre-Manche. Hier, son chef de la diplomatie, Dominique de Villepin, a parlé du “camp de la guerre” des Etats-Unis, mais aussi des pays d'Europe qui les soutiennent. Entre “pro” et “anti”, le Vieux Continent est ainsi tiraillé. Avant de larguer ses bombes sur l'Irak, l'Amérique a lancé sa première torpille sur l'Europe. Aujourd'hui, les ministres des Affaires étrangères des Quinze doivent se réunir à Bruxelles. Jeudi, un sommet des chefs d'Etat est prévu… “Si la guerre n'est pas déclarée”, a toutefois précisé le porte-parole de la présidence grecque de l'Union…A quoi bon ? S. L.