C'est l'histoire de trois couples de différentes générations et de cultures : Amar de Toulouse, Lamri et Dalila de Paris ainsi que Chantal. Mais des destins similaires. Originaires d'Algérie, ou comme Chantal mariée à un ressortissant algérien, ces couples ont voulu recueillir des enfants algériens dans le cadre de la kafala, pour des raisons liées, pour certains, à la stérilité. Tour à tour, ils nous exposent leurs parcours en exigeant l'anonymat. “Nous voulons simplement protéger nos enfants”, se défendent-ils. Lamri et son épouse Dalila sont aujourd'hui âgés de quarante ans. Ils sont tous les deux binationaux. Les yeux pétillants de bonheur, ils nous exhibent la photo de leur fils adoptif, âgé à peine de trois ans. “Il s'appelle Neil Sofiane”, dit Lamri, un tantinet joyeux. D'une voix chargée d'émotion, ponctuée quelquefois par un sourire, Lamri, ingénieur en informatique de son état, et son épouse Dalila, assistante sociale, rappellent les circonstances de l'adoption. “Nous avons fait tous les examens possibles, mais rien à faire ; nous ne pouvons pas avoir d'enfants. Après mûre réflexion, nous avions décidé d'adopter. Nous avions alors entamé les démarches pour l'obtention de l'agrément français de l'adoption, sachant qu'il faut attendre deux ans au minimum”, racontent-ils. Le couple a attendu près de treize mois pour obtenir le fameux sésame. “C'était en mars 2003, poursuivent-ils, que nous avions entamé les démarches en Algérie pour une kafala. Après l'étude de dossier et l'enquête sociale, nous avons eu l'avis favorable. En août de la même année, nous nous sommes déplacés en Algérie pour compléter la procédure.” Le couple avait décidé de recueillir un petit garçon de la wilaya de Guelma d'où ils sont originaires. “Nous nous sommes déplacés à la pouponnière de la wilaya mais il n'y avait pas de garçon, il fallait attendre près de trois mois pour recueillir un garçon.” Pour gagner du temps, le couple a décidé de transférer le dossier au niveau de la direction des œuvres sociales de la wilaya d'Alger. “Nous avons visité deux pouponnières mais il n'y avait pas de garçon disponible, ce n'est qu'une fois arrivés à la nursery d'Aïn Taya que nous avons trouvé l'unique garçon. Nous nous sommes dit qu'il nous attendait peut-être”, se plaisent-ils à répéter. Suite à quoi ils ont poursuivi la procédure, notamment pour l'obtention du certificat de jugement de la kafala, la concordance des noms et enfin l'inscription de l'enfant sur le passeport de l'un des parents. “Nous sommes arrivés en France avec notre enfant le 20 septembre. À l'époque, il n'y avait pas de vérification au niveau de la police des frontières ni un visa de kafala”, ont-ils rappelé. Dès leur arrivée en France, il ont procédé à l'enregistrement de leur enfant au niveau de la Caisse d'allocations familiales (CAF), à la Sécurité sociale, puis ils ont entamé les démarches nécessaires pour l'obtention de la nationalité française. “Cet enfant, nous l'avons porté plus de neuf mois dans nos cœur, c'est comme s'il a existé depuis toujours”, disent-ils avec fierté. Après avoir attendu 11 mois pour l'obtention de l'agrément de l'adoption française et quelques mois pour l'aboutissement de leur dossier en Algérie, le couple est revenu une seconde fois au pays, en septembre 2006, pour l'adoption d'une petite fille. “Nous sommes arrivés à la pouponnière d'Aïn Taya, et nous avons récupéré une petite fille que nous avons appelée Djana. Nous avons fait le nécessaire pour les papiers administratifs. Ce n'est qu'au niveau de l'ambassade de France en Algérie que nous avons rencontré quelques problèmes”, racontent-ils. Bien qu'ils aient tous les papiers en poche, ils n'ont pas eu, disent-ils, de réponse pour leur demande de visa. Le couple a dû laisser la petite fille chez une tante à la famille car il ne pouvait pas la faire entrer en France, faute de visa. “Cela fait trois mois que nous ne l'avons pas vu grandir. J'ai dû écrire au ministre de l'Intérieur français pour le sensibiliser au sujet du visa de ma fille. Ce n'est qu'hier seulement que nous avons eu la réponse favorable de l'ambassade de France à Alger. J'irai chercher ma fille dans une semaine !” Amar et Chantal n'ont pas eu la même chance. Ils étaient obligés de faire entrer leurs enfants de manière illégale alors qu'ils avaient obtenu tous les papiers en Algérie. Bien que nous ayons convenu d'un rendez-vous, Chantal, mariée à un Algérien, a préféré témoigner par téléphone. “Ça s'est très mal passé. C'était un cauchemar qui a duré six mois”, dit-elle d'emblée. Après avoir obtenu la kafala de son enfant, Chantal a entamé les démarches pour l'obtention d'un visa pour son enfant. Bien qu'elle soit citoyenne française, l'ambassade de France a refusé de lui délivrer un visa kafala. “J'ai présenté mon dossier en trois exemplaires, lequel comporte une liste des pièces à fournir au consulat de France de Tlemcen, mais il a été refusé. J'ai dû prendre un taxi pour aller au consulat de France à Alger afin d'avoir de plus amples explications, en vain”, témoigne-t-elle. Déboussolée, la mère adoptive a dû confier son enfant, pendant quelque temps, à la pouponnière en attendant de régler le problème. “Lorsque je suis revenue voir mon bébé, il était dans un état critique. Il ne voulait plus se nourrir, il pleurait tout le temps. Là, j'ai décidé de l'emmener avec moi en France, coûte que coûte !” C'est ainsi qu'elle a d'abord inscrit l'enfant sur son passeport, puis elle a acheté un billet de bateau pour l'Espagne. “Je savais que je commettais un délit et que c'était illégal, mais la santé de mon enfant passait avant tout. J'étais prête à faire n'importe quoi pour mon bébé”, se défend-elle. Au niveau de la police des frontières, la mère a été arrêtée par un douanier, son enfant n'ayant pas de visa pour le passage. “Après une longue discussion, nous avions convenu d'une somme d'argent. C'est ainsi que j'ai pu quitter le territoire algérien vers l'Espagne”, a-t-elle avoué. Le couple est arrivé en Espagne aux alentours de 18h et a pris ensuite le train jusqu'à Madrid, pour arriver enfin en France. “Nous avons eu beaucoup de chance en Europe. Pour le moment, je ne pense pas revenir en Algérie”, conclut-elle. Cette histoire est la même que celle d'Amar, bien que ce dernier soit binational. Il a refusé lui aussi d'attendre trois mois pour une réponse à sa demande de visa, étant convaincu qu'elle sera probablement négative. En outre, il ne pouvait pas se permettre le luxe de passer trois mois au bled, comme il dit, sans justifier son absence professionnelle à l'entreprise où il travaille. Ceci sans compter qu'il ne supporte pas l'idée de laisser son enfant à l'assistance sociale en attendant une réponse de l'ambassade. “J'ai décidé d'inscrire mon enfant sur mon passeport et prendre le risque. Heureusement, tout s'est bien passé. J'ai eu de la chance, il n'y a eu aucune vérification. Ce n'était pas le cas d'une mère qui a été bloquée pendant 48 heures à l'aéroport d'Orly, faute de visa pour son enfant”, explique-t-il. Si Amar, contrairement à Chantal, a eu de la veine au niveau de la police des frontières, en revanche, il a eu quelques difficultés pour inscrire son enfant à la CAF et à la Sécurité sociale. Mais après trois mois, tout était réglé. Au grand bonheur du couple… N. A.