Le duel engagé entre la force et le droit s'est, logiquement et naturellement, résolu en faveur de la force. La réunion du conseil de sécurité qui s'est tenue, hier, en l'absence des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, avait quelque chose de pathétique et de décalé par rapport à la veillée d'armes qui retient l'attention mondiale. Joschka Fischer, ministre allemand des Affaires étrangères, en était conscient quand il déclarait que “nous sommes ici pour que le Conseil de sécurité continuât à jouer son rôle”. Pour l'heure, il s'agissait donc de “sauver les meubles” de l'ONU, car pour l'Irak, la cause était entendue. Le désarmement dans la paix, ce n'est pas pour cette fois-ci. Le ministre français, Dominique de Villepin, dont le pays est résolument hostile à l'usage de la force contre l'Irak tant que toutes les possibilités pacifiques n'ont pas été éprouvées, manifeste la même inquiétude pour l'avenir du Conseil de sécurité. En déclarant que le Conseil “n'a pas échoué”, il met hors la loi les puissances qui ont décidé d'intervenir sans attendre une nouvelle résolution de l'ONU. Et comme pour juguler l'hypothèque qui pèse sur l'avenir de l'organisation internationale, il souligne que le rôle du Conseil de sécurité subsiste. Mais, au-delà du débat sur la légitimité de l'intervention américaine sur les seules bases des résolutions 1284 et 1441, la question de la confrontation entre le droit international et le rapport de force se repose. Car une espèce d'exception américaine a toujours exposé les organisations internationales à l'invalidation de leur fonction, pour peu que la superpuissance diverge de la conception de la communauté internationale, quel que soit, par ailleurs, le niveau de consensus. Avec la fin du monde bipolaire, le monde monopolaire se construit peu à peu sous nos yeux. Qu'il s'agisse du protocole de Kyoto ou de la cour pénale internationale, pour Washington, ce qui ne convient pas à l'Amérique ne convient pas au monde. Et donc vice-versa. Dans la crise irakienne, l'attitude des Etats-Unis confine à un veto contre les vetos. La France, la Russie et la Chine n'ont même pas eu l'opportunité de poser leurs éventuels vetos. Le Conseil de sécurité a été simplement ignoré : pas même la présence des ambassadeurs américain et britannique à cette ultime rencontre d'avant-guerre. Les Açores ont néantisé Manhattan. Sans compter que, dans des crises à venir, et si le fonctionnement de l'organe de décision de l'organisation mondiale reste en l'état, chacun des “cinq” se souviendra que le Conseil n'est plus un passage obligé pour légitimer ses interventions à l'étranger, et que l'Amérique se fera un plaisir de se faire rembourser le veto qui l'oblige aujourd'hui à déserter l'ONU pour envahir l'Irak. Voici l'ONU redevenue SDN, le temps d'une guerre. Voici l'ONU rappelée, une nouvelle fois, à sa condition de “machin”. M. H.