C'est un véritable réquisitoire contre le président de la République auquel s'est livré Rafik Abdelmoumen Khelifa dans un entretien accordé à la chaîne qatarie Al-Jazeera. Rejetant la responsabilité de tous ses malheurs sur un seul homme, “Abdelaziz Bouteflika”. Une réécriture de l'histoire qui laisse plus d'un perplexe. Trente minutes. C'est le temps qu'il a fallu à Rafik Abdelmoumen Khelifa pour développer son idée et essayer de faire porter la responsabilité de ses propres faits au président de la République. Si l'essor du groupe Khalifa est dû à la “démocratisation économique” voulue par le gouvernement, sa chute est le fruit, selon Rafik Abdelmoumen Khelifa, d'un “contentieux historique et commercial” qui l'opposait à l'époque des faits au chef de l'Etat. Propos décousus et difficultés d'allocution, l'image est loin de correspondre à l'ancien golden boy. À l'ex-patron d'un groupe dont la façade enjolivée aura fait rêver des millions d'Algériens. Une chimère. Une maldonne véhiculée jusque dans la présentation de Rafik Abdelmoumen Khelifa, patron d'un groupe qui n'existe plus. Rafik Abdelmoumen Khelifa maintient ses dires et assure que son groupe n'allait pas à la chute. “Il n'y a pas d'effondrement, il n'y a pas de ruine de la banque”. Les problèmes ont commencé, selon lui, le “7e mois de 2002”. Donc, au mois de juillet de la même année. À l'origine ? Un rapport des “services de renseignement français”, la “DGSE” plus précisément, selon lequel la “société Khalifa allait à la ruine”. Se défendant d'une telle analyse, l'ex-patron de la sphère Khalifa dira que ses entités fonctionnaient et travaillaient. Pour RAK, “Libération, Le Parisien et le Canard Enchaîné ont eu le même dossier”. Les “notes blanches de la DGSE” ont été transmises aux plus hautes autorités de l'Etat. “Les Français ne l'ont pas fait exprès, j'avais un problème avec Bouteflika. Au même moment, ils ont commencé à nous rendre dingues…” Qui ? “L'Etat algérien” en cherchant, selon lui, “tous les obstacles pour nous conduire à la ruine”. RAK est affirmatif quand il a quitté la banque le 3 mars 2003, “il n'y avait pas de ruine”. “C'est eux qui ont voulu sa ruine. Le problème est avec Bouteflika”. Entre le retrait d'agrément et le mandat d'arrêt, la “situation était dangereuse”. Interrogé par le journaliste de la chaîne qatarie sur les accusations portées à l'encontre du président de la République, c'est limite si RAK ne franchit pas la ligne et l'accuse en plus d'intelligence avec l'extérieur. “Les renseignements français ont transmis leur dossier. Ils étaient amis et ils le sont toujours. Il pensait que l'affaire était facile, deux mois et c'est fini. Ce n'est pas simple. 4 ans après, le problème est toujours là”. La liquidation de la banque est une décision, selon lui, de Abdelaziz Bouteflika, tout autant que le durcissement opéré dans la loi sur la monnaie et le crédit définissant le cadre réglementaire pour les activités bancaires et financières. Entendu par la justice française pour 4 voitures ! À ce stade, RAK expliquera qu'à l'origine des problèmes, un rapport faisant état d'un crédit trop important octroyé par KB au “ministère des Finances” pour la réalisation de son siège. On est loin des crédits octroyés à tours de bras ou d'hélices à Khalifa Airways sans garanties. D'ailleurs, il mettra en avant, qu'en août 2003, ce sont “deux décrets présidentiels qui stopperont la compagnie aérienne”. “Où avez-vous vu un président de la République s'occuper d'aviation ?” tentera-t-il d'ironiser. Quant aux clients floués par l'aventure Khalifa, ils sont quasiment inexistants pour lui. Quant aux craintes françaises sur ses activités, RAK estime que le problème se résume à quatre voitures. “Les Français ? Ils sont venus me voir. Deux magistrats en février ou mars 2006. On s'est rencontré à Scotland Yard. Ils avaient tous les dossiers. Eux avaient un seul problème. Quatre voitures achetées par Khalifa Airways à 500 000 euros chacune, des voitures blindées”. La justice française ne le savait pas, selon lui, et ne comprenait pas comment une compagnie aérienne pouvait acquérir des voitures en Belgique pour deux millions d'euros. Elle ne les retrouvaient pas. “Ce sont des Mercedes. Elles ont été achetées par KA en Belgique. Je leur ai dit qu'ils les trouveraient chez Bouteflika. Ils n'ont qu'à aller en Belgique et ils verront que même les agents de la Présidence ont été entraînés sur place pendant 15 jours, les voitures ont été transportées par un avion Khalifa. C'est pour ça que les Français ne viennent plus me voir”. En termes de révélation, le propos est creux même si RAK argue que “l'affaire est politique”. Khalifa ayant servi, selon lui, “l'Etat”. Quant au procès qui a lieu actuellement à Blida, c'est pour lui une “mascarade”. “Bouteflika avait un problème avec moi. On ne s'est pas entendu. Le procès à Blida j'en rigole…”, dira-t-il oubliant ses propres cadres. RAK réaffirmera une nouvelle fois avoir laissé “trois milliards de dollars dans les caisses de la banque”. Une manne que ni l'administrateur, ni le liquidateur actuellement en butte aux créanciers de la banque n'ont trouvée. À ce propos, il dira qu'il faut poser la question à “l'administrateur provisoire, Mohamed Djellab”. Où est passé un tel montant ? “Ce sont eux qui l'ont pris. L'Etat, c'est une nationalisation”, dira-t-il avançant qu'une entreprise riche devient source de “pouvoir politique”. À croire que RAK espère vendre son “opposition” et sa “déchéance” à l'image des oligarques russes en exil à Londres. Le conflit personnel qui l'oppose à Abdelaziz Bouteflika a pour lui deux origines, historique et économique. La première est liée à son père Laroussi Khelifa et remonte à la guerre de Libération. “Bouteflika était jeune, il était au Maroc. Mon père tenait les services. Bouteflika et Belaïd Abdesselem ont voulu s'enfuir en 1958. Les services marocains les ont attrapés et remis aux services algériens qui les ont condamnés à mort. Boumediene a contacté mon père et Boussouf leur a demandé de ne pas le faire. Il a été exilé au Mali. Son surnom d'Abdelkader El-Mali vient de là. Vous pensez qu'il y avait une guerre au Mali ?” arguera RAK ajoutant que son père allait tuer Abdelaziz Bouteflika. Il s'agit là d'une drôle d'anecdote qui vient à point nommé réécrire l'histoire algérienne pour expliquer un soi-disant contentieux historique. Sa bonne fortune n'est d'ailleurs pas due au passage de Khelifa Laroussi au MALG. “Ce sont des racontars. Mon père était communiste, il n'avait pas d'argent. Il n'avait ni le trésor du FLN ni rien”. Pour mieux étayer son propos, RAK dira que sa défunte mère lui a conseillé de quitter le pays quand Abdelaziz Bouteflika est arrivé au pouvoir. Oubliant de fait que le chef de l'Etat était quand même l'enfant chéri de l'Algérie dans les années 70 et qu'il était au cœur du pouvoir de l'époque. Son “opposition” n'est pas due à une soi-disant appartenance à un quelconque clan opposé du pouvoir algérien, ni un éventuel courant de l'armée. “Je représente le peuple algérien, les gens qui ont cru en moi… Je travaille économiquement”. Il dira connaître tout le monde. “Tous, de Bouteflika aux ministres et les généraux.. Khalifa était une société publique qui travaille pour tout le pays”. Première nouvelle, une société privée est en fin de compte une société “nationale et publique”. Les dépôts des entreprises et organismes publics se justifient pour lui par un simple “acte commercial” loin de toute injonction verbale. RAK certifiera par contre que ni Sonatrach, ni le ministère de la Défense nationale n'ont déposé des fonds à KB. “Sonatrach n'avait pas de comptes. Elle était à la BEA. L'armée non plus”. “Je ne serai pas extradé” Quant à la preuve matérielle de la faillite “organisée” de son groupe, elle se résume pour lui dans les quatre “décrets présidentiels signés contre lui”. L'Algérie et son cadre réglementaire se résume finalement à RAK. Pour mieux marquer son opposition, il dira qu'il n'y ni démocratie ni justice en Algérie. Certifiant au passage que les Britanniques ne l'extraderont pas. Il reste à savoir quelles garanties ont bien pu donner les responsables de Sa Majesté pour que RAK puisse être aussi catégorique, ou alors ce qu'il a bien pu leur offrir. Les propos tenus hier par Khelifa sont quelque peu contradictoires avec ce que véhiculait l'imaginaire public de l'époque. Pour Rafik Abdelmoumen Khelifa, le problème est simple et a pour origine un conflit personnel avec une personne, “Abdelaziz Bouteflika”, lui-même. Alors que la vox populi associait à l'époque l'ex-golden boy aux parents et entourage du président de la République, certains affirmant même que c'est ce qui avait permis l'expansion du groupe, RAK vient aujourd'hui affirmer le contraire et dire que c'est la personne qu'on désignait comme étant son “parrain” qui est à l'origine de sa déchéance. Et c'est sur le dos du Président que RAK rejette tous “ses” malheurs. Ce n'est plus simplement un contentieux politique, économique ou commercial, les propos de RAK expriment plus une forme de haine personnelle. En rejetant la responsabilité de la dislocation de la sphère Khalifa sur Abdelaziz Bouteflika, RAK vient par là même de lui rendre un grand service. Celui de disculper le président de la République de ce que la rumeur disait. À savoir, l'expansion du groupe Khalifa. 48 heures. Le suspense aura duré et il durera encore apparemment. Pendant ce laps de temps, très court pour certains, très long pour d'autres, l'Algérie entière était suspendue aux spots annonciateurs d'Al-Jazeera. Ceux qui s'attendaient à des vérités ou à des révélations fracassantes, en auront été pour leurs frais. Rafik Abdelmoumen Khelifa a bel et bien parlé hier. L'ex-golden boy a essayé de pointer les responsabilités et asséner des vérités, les siennes, mais il n'aura rien dit de plus ou de moins que ce que K-News a essayé de vendre pendant les semaines qui ont suivi la mise en liquidation d'El Khalifa Bank. Après cette sortie surmédiatisée de RAK, l'histoire et les Algériens retiendront encore pour longtemps que l'affaire Khalifa, loin des attaques personnelles, reste avant toute chose une affaire d'escroquerie et de malversation... Dont ont souffert des milliers de personnes et des centaines d'entreprises. Une question demeure aujourd'hui sans réponse. À aucun moment de son exil doré à Londres, Rafik Abdelmoumen Khelifa ne dira où est passé l'argent… Samar Smati