L'Algérie exige l'ouverture des archives de l'armée française, l'aide à la décontamination et à la réhabilitation des zones irradiées ainsi que la réparation pour les victimes. Le nombre de victimes des essais nucléaires français en Algérie augmente inexorablement, souvent dans l'anonymat. À ce jour, aucune liste n'est établie. L'absence de dépistage et d'archives sanitaires occulte les innombrables maladies comme le cancer et les décès, entraînés par les radiations. Contrairement aux idées reçues, les victimes ne sont pas seulement les habitants des zones où les expériences ont eu lieu, mais se trouvent aussi très loin. “Il y a des possibilités de contamination à plus de 700 kilomètres des régions des essais”, assure M. Mansouri, chercheur en génie nucléaire. Aujourd'hui, il prendra part à un important séminaire international qui se déroulera à l'hôtel El-Aurassi à Alger, sous les auspices du président de la République et à l'initiative du ministère des Moudjahidine. À l'instar d'autres pays, la France sera représentée par une délégation d'experts. L'objectif étant de réfléchir aux moyens d'encercler les zones contaminées et de préserver les populations des radiations encore intenses de la bombe atomique. Mais il est attendu surtout de l'Hexagone un geste politique. “Ce qu'elle a commis est un crime. Elle doit s'astreindre à un devoir de mémoire”, revendique Djamel Yahiaoui, directeur du Centre national des études et de recherche sur le mouvement national et la révolution du 1er Novembre 1954. Il tenait hier au siège de l'institut à El-Biar une conférence de presse de présentation des travaux et des desseins du séminaire. À l'occasion de cette manifestation, le centre a édité un recueil de recherches et de témoignages sur les essais. La France coloniale a effectué son premier test le 13 février 1960 à Reggane sous le nom de code “La Gerboise bleue”. L'explosion de la bombe atomique — elle était trois fois plus puissante que celle larguée par les Américains sur Hiroshima — a entraîné ce jour-là des pluies noires au Portugal. Au Japon, le même phénomène s'est produit provoquant un vent de panique chez la population. En tout, l'armée française a procédé à 4 essais aériens et 13 autres souterrains dont le dernier en février 1966. Mais, selon M. Mansouri, d'autres expériences ont eu lieu clandestinement. Il dénombre au moins une quarantaine sur le site de Hamoudia près de Reggane. Encore aujourd'hui, les lieux sont ouverts aux quatre vents. “Ces régions sont traversées par les nomades”, soulignera M. Mansouri. Par ailleurs, il précisera en ajoutant que les équipements ayant servi aux essais ont été enfouis sous les lieux. Au gré de l'érosion, ils ont réapparu et constituent des sources de radiation importantes. Le dossier des essais nucléaires français en Algérie a été ouvert en 1996. Mais depuis cette date, rien ou presque n'est fait pour se débarrasser de ce legs empoisonné. De l'avis de M. Mansouri, le nettoyage des zones contaminées et leur réhabilitation ne sont pas une affaire exclusivement algérienne. “La France doit prendre sa responsabilité juridique”, martèle-t-il. Outre l'aide technique qu'elle est en devoir de fournir en matière de décontamination, elle doit ouvrir ses archives, mettre des noms sur tous les lieux secrets où des bombes ont explosé. La réparation due aux victimes fait également partie de ce devoir de rédemption. Une association a d'ailleurs vu le jour et milite pour l'obtention des dommages. Mais manifestement, sa voix ne porte pas loin. Pour rappel, l'armée coloniale est demeurée dans le Hoggar et plus précisément à Reggane, théâtre de ses expériences, jusqu'en 1967, conformément aux accords d'Evian. Ensuite, les essais ont été transférés sur des sites en Polynésie. Outre les massacres, les enfumades, les brûlures au napalm, la torture… les expériences nucléaires, mais surtout leur évocation, aujourd'hui, soit 47 ans après l'explosion de la première bombe, risquent de souder un peu plus les voies du rapprochement algéro-français et garder dans les catacombes le traité d'amitié entre les anciennes métropole et colonie. Samia Lokmane