Il s'agit de la deuxième opération du genre après celle de Boumerdès. Depuis que le dispositif de sécurité a été renforcé aux frontières Ouest, les statistiques en matière de contrebande prouvent que la situation est maîtrisable, même si la vigilance demande plus de rigueur. C'est du moins le constat que nous avons fait sur le terrain. Cette fois, nous avons eu l'avantage de voir à l'œuvre le travail combiné de deux corps condamnés d'ailleurs à œuvrer dans le même but, celui de garantir une meilleure surveillance de nos frontières et, par la même occasion, arrêter la saignée que subit l'économie nationale. Accompagné du colonel Ayoub, responsable de la cellule communication, et du commandant Noureddine Boukhebiza, commandant le groupement de Tlemcen, nous nous dirigeons directement vers le dépôt appelé ironiquement “cimetière des saisies”, où nous attend l'inspecteur divisionnaire des Douanes, Mourad Mokhtari. Le dépôt de Maghnia est plein à n'en plus pouvoir de produits saisis par les douaniers. Une montagne de jerricans ayant servi, il y a peu de temps, aux “hallabas” (passeurs de carburants), des produits alimentaires, des pièces détachées, des boissons alcoolisées et un parc automobile de toutes marques. Des véhicules récents mais aussi ceux qui sont là depuis plus de sept ans. La principale raison est due aux lenteurs administratives et procédurières. En 2005, 680 affaires ont été traitées au niveau de la wilaya. En 2006, le chiffre dépasse 1 000. “Les contrebandiers utilisent toutes les ruses possibles. Pour faire passer la marchandise objet de contrebande, ils recourent même aux voitures de location qu'ils abandonnent en cas de malheur”, explique le divisionnaire. Pour ce qui est des mesures, il dit que la marchandise saisie peut coûter au contrebandier le payement de dix fois sa valeur, en plus d'un emprisonnement pouvant aller jusqu'à 10 années, conformément aux dispositions de la loi 05-06. Mercredi, 14h30. Cap sur Akid-Lotfi, poste frontalier avec le Maroc. Seuls les 4x4 rompent le silence pesant sur les lieux. “Toute la région vit dans le calme. Suspect bien sûr, car juguler la contrebande au niveau des frontières n'est pas une mince affaire. Les perquisitions sont très difficiles. La population locale veut à tout prix politiser ces opérations, ce qui nous oblige à agir avec beaucoup de tact pour mener à bien notre mission”, dit à ce sujet le commandant Boukhebiza. Le marché de Zouia est désert. “Le durcissement du dispositif sécuritaire, dont l'effet à permis de serrer l'étau autour des contrebandiers, a eu également pour conséquences la mort économique de l'autre côté de la frontière. À Ahfir ou encore plus loin à Oujda, les produits algériens tant prisés sont introuvables. Le prix du carburant a atteint l'équivalent de 60 DA. Un coup dur pour les utilisateurs”, ajoute l'officier supérieur. Cependant, ces résultats certes encourageants ne sont pas le fait du hasard. Les efforts déployés tant par les gendarmes que par les douaniers sont plus que méritoires. Au royaume des grosses cylindrées On se dirige vers le dépôt des saisies. Un immense hangar fourre-tout qui n'arrive plus à contenir les grosses quantités objets de contrebande, à l'image de ces deux camions bourrés de métaux ferreux et non ferreux. 22,5 tonnes de câbles qui attendent depuis 2002 une décision de justice libératrice. “Les lenteurs administratives dans ce cadre ne sont pas pour arranger les choses”, nous dit-on. Il est vrai que les lieux ne sont plus à même de recevoir d'autres saisies, quand bien même l'activité intense de ces derniers mois rapporte gros. Les véhicules prennent beaucoup de place. Un Touareg flambant neuf attire notre attention. Nous apprenons qu'il appartenait à un baron de la drogue qui aurait bénéficié de la protection d'un officier de police. L'affaire a été traitée il y a quelques mois. En 2006, rappelle le divisionnaire Mokhtari, 1 076 affaires ont été traitées avec 846 milliards de dinars de pénalités encourues. Un chiffre en augmentation comparativement à 2005, avec 603 affaires et 817 milliards de dinars de pénalités. Sidi-M'barek, un carrefour important où convergent les routes menant vers Maghnia et Beni Boussaïd, sans compter les chemins vicinaux qui font la préférence des contrebandiers. Ils mènent tous au-delà de la frontière. S'il est vrai qu'à ce carrefour, les véhicules sont passés au peigne fin, la surveillance est plus accrue en arrière front. La tactique consiste à détourner l'attention sur ce point. En réalité, les contrebandiers empruntent souvent les pistes. Une douanière est en faction pour la fouille au corps. Elle dit que le trafic a nettement baissé ces deux derniers jours. La nouvelle de l'opération combinée a fait le tour de la région en un temps record. Il faut dire que les “hallabas” ont leurs “surveillants” équipés de téléphones mobiles. Pour quelques heures de travail, ils gagnent 500 à 600 DA/jour et ont droit à deux cartes prépayées par semaine. Les hallabas, quant à eux, peuvent en tirer, durant les jours fastes, 8 000 à 10 000 DA quotidiennement de bénéfice net. Chose curieuse pour les non-avertis, la grosse voiture est très recherchée dans toute la wilaya. Les anciennes Mercedes (230, 240 et 250 D) et les Renault 20, 25 et autres R18 break sont les plus utilisées. Pour des raisons pratiques, la capacité du réservoir permet de rentabiliser le déplacement vers les villes frontalières marocaines. Mais les contrebandiers ne s'arrêtent pas là. Des véhicules sont transformés en véritables citernes. Certaines voitures peuvent transporter en une seule fois plus de 600 litres de carburant. Quand ce ne sont pas des jerricans, c'est un gros réservoir qui est installé dans la cabine. Seule la place du chauffeur est épargnée. Dans des cas, le siège même fait partie de la citerne. À côté des gains fort alléchants, le prix d'un véhicule est dérisoire. Il est 16h30 quand les véhicules prennent la route de Tounène, déformation du mot tunnel où jadis les ouvriers de la région gagnaient leur vie. Un de nos accompagnateurs nous montre du regard les moulins Souani. Un investissement dans un endroit désertique, c'est plutôt bizarre. “Le barrage fixe dressé à Tounène a souvent permis de bonnes prises”, dit le commandant Boukhebiza. Il est utilisé par les contrebandiers comme évitement afin d'échapper à la RN35. Ce sont surtout les spécialistes de l'orange en provenance des villes marocaines de Berkène, Ahfir et Saïdia. Il y a à peine trois jours, 20 quintaux d'oranges à bord de trois fourgons ont été interceptés et saisis. Le divisionnaire de Ghazaouet, Ahmed Adnane, explique pour sa part que la contrebande dans la région est presqu'une culture. “Ce n'est pas le travail qui manque dans la wilaya de Tlemcen. Les gens préfèrent le gain facile. Un éclaireur peut gagner plus de 8 000 DA par jour. Pour l'histoire, on a eu toutes les difficultés du monde à trouver trois manutentionnaires pour le dépôt de Boukanoune. L'équilibre économique de la région repose sur l'informel. Il arrive souvent que les banques à Tlemcen manquent de liquidités. Un phénomène créé par la contrebande qui impose la thésaurisation”, fait-il savoir. 830 personnes écrouées en 2006 Avec ses 172 km de frontière avec le Maroc, la wilaya de Tlemcen reste quand même vulnérable. La volonté de fer qui anime les corps de sécurité, douanes comprises, ne suffit pas à juguler la contrebande. En 2006, le groupement de gendarmerie a traité 1 501 affaires et arrêté 891 personnes, dont 830 écrouées. La valeur de la marchandise saisie est de 893 milliards de centimes, dont 460 000 litres de gasoil, soit une moyenne journalière de 1 260 litres. En matière de droit commun, 1 042 affaires ont été élucidées et ont conduit à l'arrestation de 942 personnes. Dans le volet stupéfiants, 67 affaires ont été traitées, 409 kg de kif traité saisis et 89 personnes arrêtées. Concernant l'immigration irrégulière, 163 affaires ont été traitées et 546 personnes arrêtées, dont 209 Marocains et 189 Indiens. Pour le seul mois de janvier 2007, 200 affaires ont été traitées, 67 personnes arrêtées et 77 850 litres de gasoil saisis. Mardi dernier, une affaire liée à la constitution d'un réseau de prostitution a permis d'arrêter 25 personnes, dont 3 femmes. L'une des femmes, Latifa, raconte son histoire. Un parcours tumultueux qui a commencé le jour où elle a décidé de ne plus vivre avec son ex-mari qui la maltraitait. Ses parents ne voulaient pas qu'elle divorce. N'en pouvant plus, elle fuit chez ses parents qui la rejettent illico presto. Débute alors le cercle infernal. une promesse de mariage avec un homme qui avait plutôt de sombres idées. Elle se retrouve malgré elle embarquée dans une galère qui la mène tout droit à l'exercice du plus vieux métier du monde. Une histoire qui a fait pleurer une consœur. À Boukanoune, une halte s'impose. Un autre cimetière de véhicules ayant servi durant quelque temps aux contrebandiers. Des transformations qui ont complètement changé les cabines devenues de véritables citernes. Les génies du mal ont tout étudié. Un douanier d'un certain âge nous raconte comment il a échappé à une mort certaine alors qu'il était avec ses collègues en patrouille. “Ils n'ont aucune pitié. Quand ils ont remarqué notre véhicule et qu'il était trop tard pour faire demi-tour, ils foncèrent sur nous. Heureusement que nous avons pu au dernier instant réussir une dérobade. Malgré cela, notre véhicule a été endommagé. Sans la présence d'esprit du chauffeur, ç'aurait été le drame.” Le commandant Boukhebiza nous confie que des instructions ont été données pour ne plus jouer à l'aventure. “La traque ne veut pas dire se jeter dans la gueule du loup. Généralement, quand on repère les contrebandiers, on finit toujours par les avoir.” L'exemple que nous avons vécu à Tounène le confirme. En effet, alors que des explications sont données sur la configuration de la région, une R25 n'obtempère pas à la sommation de s'arrêter. Le conducteur passe à vive allure sans aucune hésitation. Quand le brigadier ordonne au gendarme de tirer la herse, c'est déjà trop tard, la voiture est bien loin. “Ça ne sert à rien de lui courir après. La poursuite n'est pas conseillée. Il peut s'agir d'un véhicule dont le réservoir est modifié. On ne s'inquiète même plus pour ce genre d'infractions. Nous avons nos méthodes d'investigation et le contrebandier finit par tomber dans le piège”, explique-t-il. Oued Kis sépare les deux postes frontaliers. Boukanoune et Ahfir s'observent mutuellement comme des chiens de faïence. C'est le calme plat. Dans ce coin, les mariages sont mixtes et il n'est pas rare d'avoir d'un côté comme de l'autre sa belle famille, mais on reste quand même vigilant. Tout récemment, un policier marocain a été arrêté par les gendarmes de Boukanoune. Le flic s'était oublié alors qu'il se trouvait sous l'effet de l'alcool. Les gendarmes ont fini par le remettre à ses supérieurs. Un geste très apprécié tant par la population locale que par les autorités locales marocains. L'une des mesures prises par le wali de Tlemcen a été celle de rationner les stations-services. Une décision impopulaire mais qu'il faut certainement saluer, s'agissant de protéger l'économie nationale. Espérons que d'autres mesures suivront comme le renforcement en moyens humains et logistiques des postes avancés, notamment ceux des GGF, des brigades placées au niveau des villes frontalières et aussi des douaniers dont les efforts pour la lutte contre la contrebande sont très louables. A. F.