De notre envoyé spécial à Maghnia Amirouche Yazid La localité de Zouiya, où habitent, éparpillés, les Beni Boussaïd, affiliée administrativement à la daïra de Maghnia, dans la wilaya de Tlemcen, est une zone frontalière entre les territoires algérien et marocain, qui abrite un mouvement de personnes et de marchandises assez particulier. Le mouvement se distingue aussi bien par les auteurs des différentes activités que par sa nature même. Il s'agit bien d'un mouvement de contrebande, dont le mode d'emploi et les contours demeurent très difficiles à cerner. Zouiya, que la nature a voulue comme ligne de jonction et de liaison entre deux pays voisins, que l'histoire prédestinait à être un espace de fraternité et de convivialité, fait aujourd'hui office de concentré de contrebande qui ne recule pas, nonobstant les grands moyens mobilisés, notamment du côté algérien, pour y faire face. Zouiya du troisième millénaire est décidément un espace de trouble échange, drogue contre carburant. Elle joint ainsi deux bords qui se regardent constamment mais qui refusent de se parler en dehors du langage de la contrebande. A Zouiya, les marchandises se vendent et s'échangent clandestinement. D'autres auteurs de ce commerce de fraude tentent épisodiquement de greffer des opérations sur cet espace en mobilisant des marchandises peu usuelles. Le carburant et la drogue sont visiblement le moteur de toute cette contrebande qui prend des proportions inquiétantes dans l'économie des deux pays. La partie qui subit la nuisance de ce mouvement est incontestablement l'Algérie, qui accueille quotidiennement des centaines de kilogrammes de drogue et voit passer -frauduleusement- des quantités de carburant. Les ayant constamment dans sa ligne de mire, le Groupement de gardes-frontières(GGF) de la daïra de Maghnia rencontre cependant d'énormes difficultés à neutraliser les activités des «exportateurs» de carburant vers le sol marocain. Même en opérant avec plus de vigilance et de combinaison, le résultat est toujours en deçà des objectifs. La raison ? Fuite d'informations dès qu'une opération de poursuite est lancée par les éléments de ce groupement. Pour celui qui se rend dans cette zone pour la première fois, il sera certainement difficile de saisir la portée et la finalité du mouvement des gardes-frontières. Il s'interrogera de prime abord sur la source et le lieu de cette fuite qui intrigue et qu'aucune force n'est apparemment en mesure d'identifier. C'est à ce niveau justement que les mouvements des contrebandiers prennent une autre dimension. Celle de constituer des réseaux de fraude dotés d'un mode de fonctionnement, si élémentaire soit-il, mais qui permet à ces auteurs d'évoluer loin de l'œil et des jumelles des forces de sécurité. Les outils de la contrebande La mission des éléments des gardes-frontières devient très difficile dans la mesure où les contrebandiers préfèrent opérer en nocturne. L'issue de la sortie des GGF de mercredi dernier n'a pas été similaire aux précédentes, bien que les policiers eux-mêmes aient donné l'impression de ne pas croire à l'efficacité de la nouvelle opération qu'ils s'apprêtent à mener à partir du centre-ville de Maghnia. Scepticisme de la hiérarchie : les premières appréhensions émanent du commandant de la 9ème troupe du Groupement des gardes-frontières, qui annonce, sur le ton de la certitude : «Dès qu'ils [les contrebandiers] voient nos véhicules se diriger vers la zone frontalière, ils prennent la fuite et abandonnent les lieux.» La prophétie du commandant était partagée par tous ses éléments. Elle sera néanmoins démentie au milieu du tracé des frontières algéro-marocaines. Sur une piste séparant des terres -naturellement arables, mais qui attendent encore un fellah qui ne viendra pas de sitôt-, des bourriques transportant des jerricans de carburant firent leur apparition. Sous la menace des gardiens de la frontière, les bêtes ont été abandonnées par leurs conducteurs fraudeurs. Transportant une quantité de 180 litres de carburant chacune, à acheminer vers le sol marocain, les bourriques n'arrivaient plus à se frayer un chemin au milieu des ténèbres. Ce fut une bien réjouissante surprise pour le commandant de la 9ème troupe et ses éléments qui se plaignaient de l'inefficience récurrente de leur chasse-poursuite à cause de l'immensité des frontières et de l'entêtement des trafiquants à exécuter leur plan de nuisance. Le commandant nous révélait quelques instants auparavant son étrange satisfaction. Devant des bilans d'arrestation qu'il jugeait faibles, le commandant du secteur trouve une raison de satisfaction à un autre niveau qui l'empêchait pourtant d'atteindre ses visées. De quoi s'agit-il réellement ? Il s'agit d'un groupe de jeunes que les réseaux de contrebande emploient pour indiquer les mouvements des gardes-frontières. Le rôle de ces jeunes consiste à alerter, par téléphone, les contrebandiers qui se trouvent sur la zone du trouble échange de la «visite» des gardes-frontières. Pour ces derniers, les choses sont claires : les contrebandiers possèdent un mode d'information efficace. Les «employés» de l'information au profit des contrebandiers reçoivent une «chipa» de 500 dinars par jour en plus de 500 dinars d'unités de téléphone. Le commandant conclut sur un ton ironique : «Avec le recrutement de ces jeunes pour l'information des contrebandiers, nous participons à la création de l'emploi et à faire vivre quelques familles d'Algériens.» Au chapitre des marchandises qu'on fait entrer sur le sol algérien, la drogue demeure indiscutablement le produit prohibé qui rythme davantage la course anti-fraudeurs de nos gardes-frontières. La nuit de mercredi à jeudi n'a pas été de tout repos pour les gardiens du poste frontalier dit Hadj Mouloud. La cause : une personne qui transportait à bord d'un véhicule de marque Renault 25 une quantité de 400 kilogrammes de kif (X5) n'a pas échappé à la vigilance des gardiens qui l'ont poursuivi jusqu'à ce qu'il abandonne son engin. L'arrestation qui a eu lieu au niveau du village Diar Rachi à une vingtaine de kilomètres de Zouiya n'a pas manqué de pousser les premiers responsables des forces de sécurité à exiger plus de vigilance de la part des gardiens. Sur les lieux, un commandant fera savoir à son équipe que le «baron», d'origine marocaine, qui dirige ces opérations est connu dans la localité. Il n'en est pas, en revanche, à sa première tentative. La même source soutient que «ce ‘‘baron'' dispute même le marché avec un ‘‘baron'' algérien. Les deux malfaiteurs n'hésitent pas d'ailleurs à alimenter des forces de sécurité sur les mouvements et les plans de l'autre». L'opération de Dar Rachi est venue imposer plus de vigilance en évitant de croire que les réseaux de contrebande sont à court d'atouts. «Même si les statistiques indiquent que la tendance est à la baisse –44 957 kg saisis durant les dix premiers mois de l'année 2008 contre 121 481 durant le premier trimestre 2007-, nous ne sommes pas encore parvenus à désinfecter la zone», soutient un responsable militaire. La fabrication de faux billets a aussi son espace dans les frontières algéro-marocaines. Elle est exercée généralement par des Maliens. Ces derniers semblent être engagés dans ce marché par des réseaux que dirigent des Algériens et des Marocains, voire des Européens. La liaison clandestine entre Algériens et Marocains des frontières nuit grandement à l'économie nationale qui ne saurait atteindre sa stabilisation avec la prolifération de ce genre de zones. Le renforcement des dispositifs de lutte contre la contrebande ne devrait pas s'arrêter même s'il y a priorité à s'attaquer aux causes de ce phénomène et surtout à ses financiers.