Il est parti comme il a vécu : dans la discrétion. Principal initiateur des accords d'Evian, Tayeb Boulahrouf est décédé hier à son domicile à Hydra sur les hauteurs d'Alger des suites d'une longue maladie. Exclu de l'école très jeune pour ses activités nationalistes, Tayeb Boulahrouf rejoint très tôt le Parti du peuple algérien (PPA) et se lie d'amitié avec les défunts Benyoucef Benkheda, le Dr. Lamine Debaghine et Saâd Dahlab dont il deviendra le meilleur ami, selon le témoignage de l'un de ses trois enfants, le plus jeune Djalil. Opposé à Messali El Hadj, le défunt rejoint le FLN au courant des années 50 et deviendra responsable de la Fédération de France. C'est en cette qualité et celle de représentant du Gouvernement provisoire de la République algérienne qu'il entame dans la discrétion des contacts avec des personnalités helvétiques qui aboutiront aux accords d'Evian. Rencontré hier au domicile du défunt, Rédha Malek, membre de la délégation des négociateurs d'Evian, et actuel président de l'ANR, raconte : “C'est une grande figure de la Révolution qui disparaît, un militant de la première heure qui s'est illustré pendant la lutte de libération par ses activités au sein de la Fédération de France du FLN. Représentant du GPRA en Italie et en Suisse, il a tissé des relations utiles avec nombre de représentants et de personnalités de l'opinion publique en Italie et en Suisse. Et c'est par son intermédiaire que le gouvernement helvétique a présenté ses bons offices entre le gouvernement français et le gouvernement algérien en vue des négociations d'Evian. Il était à l'origine des contacts et a fait partie de la délégation”. Au lendemain de l'indépendance, il occupe les postes d'ambassadeur, notamment à Rome, à Belgrade et en Argentine avant qu'il ne se retire de la vie politique en 1984. Discret, ferme, moralement intègre et juste, l'homme était éprouvé, selon son fils, par la tournure des événements dans son pays, notamment lors de la décennie écoulée. D'ailleurs, il refusa une sollicitation du défunt Boudiaf pour occuper un poste de responsabilité tout comme il envoya quelques années plus tôt ses enfants pour recevoir la médaille de mérite, témoigne son fils. Il avait un projet mais dont il confia l'entreprise à ses enfants : la rédaction de ses mémoires et dont le titre selon ses vœux sera : Lettre à mes enfants. “Il nous a laissé des notes, des documents et des enregistrements”, confie Djalil. Un projet qui n'est du reste pas encore entamé. Djalil ne manque pas par ailleurs de remercier Ahmed Ouyahia et son chef de cabinet, Sbaïbi, qui n'ont ménagé aucun effort pour la prise en charge du défunt quand il était malade. Âgé de 84 ans, Boulahrouf sera enterré aujourd'hui à 13 heures au cimetière d'El-Alia, près de sa femme, selon ses vœux. “C'est une grande perte, c'était l'un de nos maîtres”, témoigne pour sa part l'ancien président du HCE, Ali Kafi. KARIM KEBIR