Le JT de l'ENTV d'avant-hier nous a plongés dans la nostalgie de la télé de plomb. On ne peut pas dire que la direction de l'information a sollicité ses stations régionales puisque l'événement, survenu à l'identique, dans l'ensemble des succursales décentralisées de l'Unique, est supposé être spontané. Partout dans le pays, des citoyens se sont “spontanément” présentés le même jour, dans les studios délocalisés de la chaîne publique et unique, pour réagir à l'acte terroriste qui a frappé le Palais du gouvernement et le commissariat de Bab-Ezzouar. Certains en costume d'apparatchik, d'autres en survêtement ou en tenue négligée… le tout est que l'allure soit bigarrée pour que cela fasse représentatif de la diversité populaire. Toutes les télévisions et les radios du monde sont obligées de sortir glaner les réactions des citoyens dans la rue ; la télévision nationale n'a pas besoin de se déranger : les passants viennent à elle. Et en nombre et de manière synchronisée. Il y en avait même un qui était spontanément venu de Laghouat au studio de Ouargla… juste pour exprimer sa position. La mise en scène était digne de la télévision brejnévienne, s'il n'y avait pas un détail qui contrastait, si j'ose dire : la couleur. Le noir et blanc aurait fait d'époque. Comme tout n'était pas préprogrammé, il y eut un ingénieux habitant d'Oran qui se fendit spontanément d'une idée : organiser une marche pour condamner le terrorisme et… soutenir la concorde civile. C'est lié, n'est-ce pas ? Et cette idée, lumineuse, transformée en proposition spontanée d'un quidam national sera demain suivie par la nation toute entière. D'ailleurs, Louisa Hanoune a eu le même jour, avec la même spontanéité, la même idée. L'idée était tellement à elle qu'elle l'a formulée non pas ainsi : “Le PT appelle à une marche”, mais ainsi : “Nous sommes prêts à participer à une marche.” Depuis, il court des nouvelles de marches spontanées. Même à Alger où toute manifestation publique est prohibée depuis des années, l'interdiction est officieusement levée. Officieusement, pas officiellement, au cas où d'autres causes auraient l'idée d'exploiter la libération occasionnelle des rues de la capitale. Cette gymnastique de la spontanéité est rendue nécessaire par le verrouillage de l'expression publique. Celle-ci n'est supportable qu'en ce qu'elle vienne confirmer la popularité de la démarche officielle, c'est-à-dire aujourd'hui la réconciliation nationale. Les attentats meurtriers de mercredi ont remis tacitement en cause cette option, même si le vacarme médiatique empêche que la question soit formellement posée. Dans toutes les interventions officielles, après la condamnation et la promesse de sévir contre le terrorisme, survient le rappel de la réconciliation comme unique voie de salut. L'insistance officielle à affirmer que le regain de terrorisme ne remet pas en cause le choix stratégique du pouvoir doit donc être relayée de manière populaire. La marche devrait concrétiser la concomitance de la condamnation du terrorisme et de l'approbation de la démarche réconciliatrice. Avec la maladroite contribution de la télévision. M. H. [email protected]