La maladresse des archs et la stupidité du pouvoir ont créé une regrettable, déroutante et préoccupante situation pour la société civile. L'origine du mal est bien connue : c'est l'incapacité du pouvoir à gérer les problèmes du pays. La mort du jeune Guermah Massinissa à la gendarmerie de Béni Douala, a été le déclencheur de la révolte. La non-reconnaissance du fait identitaire national amazigh déjà, à l'époque coloniale, au sein du mouvement national PPA/MTLD, a ressurgi à la veille de l'indépendance à l'intérieur du pouvoir issu, rappelons-le, du coup d'Etat de l'armée des frontières et soutenu par Ben Bella. Démagogue et populiste, il lança sans à propos son "Nous sommes Arabes, Arabes, Arabes" pour se donner de la “prestance” sur ses pairs, et un clin d'œil intéressé à son maître Gamal Abdel Nasser. Cette déclaration malvenue a consacré depuis une lutte politicienne en sourdine entre “arabo-baâthistes”, “algérianistes” et “berbéristes”, créant ainsi une fixation sur un faux problème. On sait très bien que Ben Bella et les siens sont un peu comme dans la fable bien connue, celle des animaux à la recherche de leur géniteur, où chacun d'entre eux trouve sans peine le sien. Reste en dernier, le mulet qui, interpellé encore une fois par ses compagnons, répond très satisfait : “Mon oncle est le cheval”, pour ne pas dire que son père est l'âne ! Près de quarante années plus tard, revoilà un futur président, Bouteflika, en campagne électorale en Kabylie, qui vient mettre carrément le feu aux poudres avec sa fameuse phrase-provocation : “Tamazight ne sera jamais langue nationale.” C'est de tout ça qu'est né le mouvement des archs pour mener le combat de la dignité par de nombreuses manifestations à travers toute la Kabylie et que le pouvoir, sans vergogne, va réprimer avec brutalité, causant plusieurs dizaines de morts et de blessés parmi les jeunes et obligeant le même personnage provocateur, devenu alors président, à reconnaître en fin de compte tamazight comme langue nationale. Depuis, l'agitation des archs continue, souvent maladroite et gênante pour les partis politiques qui ne savent pas de quelle manière réagir (y adhérer pour la récupérer à leur avantage, ou, à défaut, la dénoncer). Il est un fait établi et bien connu que toute action décidée unilatéralement par n'importe quel mouvement régional ou parti politique ne peut qu'être vouée à l'échec. Elle ne dérange pas le pouvoir, fort de la loi de l'état d'urgence qui, elle, lui permet de réprimer sans ménagement ni état d'âme. Seule une action concertée à l'échelle nationale, pour un objectif unificateur, est réaliste et salvatrice. Elle obligera le pouvoir à se soumettre, à donner suite aux revendications légitimes exigées, ou à se démettre de ses fonctions. Par conséquent, ce qui serait à recommander aujourd'hui, c'est de mener une action commune au sein de la société civile — en dehors des partis politiques qui peuvent rejoindre le mouvement — initiée par un groupe de personnes indépendantes, intègres et désintéressées, en vue de la réalisation de l'objectif national primordial, à savoir la consécration du principe d'alternance au pouvoir et la concrétisation de l'Etat de droit. Ceci permettra de lever tout obstacle à la solution des problèmes secondaires nationaux ou régionaux. A ce sujet, on comprend pourquoi les autres régions du pays n'ont pas suivi le mouvement des archs. Vexées par les décisions du fait accompli, elles n'ont pas supporté de se trouver dans le rôle de simples suivistes impotentes. Il est clair aussi que les archs sont, eu égard à leur nature, ethnocentristes, l'unité étant dans le arch qui est souvent l'adversaire ou même, quelquefois, l'ennemi d'un autre arch. Les archs ne peuvent donc pas prétendre au leadership du mouvement citoyen ; ils représentent un archaïsme antinomique avec la citoyenneté. C'est la raison pour laquelle, encore une fois, le mouvement citoyen se fera, non pas par des archs, mais par des citoyens. Devant cette situation confuse et malsaine, la société civile se trouve désorientée, paralysée et sans espoir, déçue par tant de mensonges et de manipulations de toutes sortes émanant d'un système honni qui continue de fonctionner avec ses décideurs-malfaiteurs et la complicité intéressée du parti-Etat, ses clans et ses tares originelles nées du populisme destructeur. Ce parti-Etat, charriant en son sein de nombreux faussaires, hypocrites et laudateurs, a occupé indûment le champ politique depuis l'indépendance, faisant toujours barrage à l'émergence d'un mouvement républicain, démocratique et social, rêve de tant de patriotes et martyrs de la Révolution du 1er Novembre 1954. L'indépendance acquise, ce parti n'a pas cessé de s'organiser, se réorganiser, se sourcer et se ressourcer sans fin. Deviendra-t-il aujourd'hui un authentique et crédible parti du peuple, œuvrant, enfin, pour l'intérêt national, promoteur d'un projet de société en adéquation avec l'évolution du monde au présent et à l'avenir ? Il faudrait quand même l'espérer, mais comment ?... M. M. * Ancien membre du Mouvement national