Dans l'informel, le commun des citoyens, les professionnels et les officiels en parlent, mais sans avancer, pour autant, les moindres statistiques. On sait que la formule existe, qu'elle suscite de plus en plus l'engouement, qu'elle obéit aux règles de l'informel, mais qu'elle ne peut être appréhendée, statistiquement parlant. Timidement introduit, durant la seconde moitié des années 1990, à Ouillis, comme la population de la région aime si bien entretenir sa dénomination de l'ère coloniale, l'hébergement chez l'habitant demeure la formule du tourisme de masse la plus prisée, autant par les hôtes qui reçoivent que ceux qui leur rendent visite ! À la faveur d'un énorme déficit en infrastructures hôtelières et de l'apaisement particulièrement sensible de la situation sécuritaire, conjugués au besoin d'évasion de plus en plus fort et évident de la population algérienne, la formule ne cesse de faire tache d'huile, le long des centres urbains côtiers. Au bout du fil, l'accueil est particulièrement chaleureux et pour cause : les présentations sont brèves. “Nous appelons de Saïda et nous cherchons un logement pour la saison estivale.” Un produit qui ne manque certainement pas à Mostaganem, surtout dans une agence immobilière comme celle que nous appelons. Le correspondant qui nous répond ne fait que remplacer le patron de l'agence, mais cela n'empêche point qu'il “entrouvre” la voie pour nous retenir. Seuls les tarifs lui échappent comme information précise. Au second appel, l'agent immobilier est là. Il nous invite à nous présenter à tout moment mais le plus tôt serait meilleur. Terrain nu, logement en carcasse, en collectif ou en individuel, appartement ou villa, nu ou équipé, pied dans l'eau ou en ville, la gamme de produits disponibles est suffisamment large, à susciter l'embarras du choix. Seul le tarif en fait la différence. À Salamandre, à deux pas de la mer, on nous propose l'appartement équipé à 5 millions de centimes par mois. En ville, la même offre est réduite d'un million de centimes. À 35 km de la ville, l'aimable gérant nous propose une villa à Hadjadj. “Mais elle est un peu plus chère”, nous avise-t-il pour nous rabattre apparemment sur Mostaganem. En cette location estivale, hautement lucrative, tous les agents immobiliers ont découvert la voie la plus courte et le créneau de la rente la plus juteuse. Que ce soit en mode social ou en promotionnel participatif, rarement le nouvel attributaire ou acquéreur qui s'installe sur la frange côtière ne soit le premier locataire du logement dont il a bénéficié. Fatma, une femme de ménage à l'université, qui a eu la chance d'hériter d'un logement à Salamandre, y a trouvé une coquette ressource d'appoint : elle partage son appartement avec les mêmes hôtes d'été, depuis trois ans déjà. Chaque saison, elle se met temporairement à l'étroit dans son rez-de-chaussée avec son enfant, et cède son premier étage aux mêmes clients venant de l'Algérois qui y trouvent gros mobilier, équipement électroménager et ustensiles de cuisine. Au tarif mensuel de 5 millions de centimes, les mêmes familles se relayent durant l'été. À défaut de réseaux et de structures officiels régissant cette formule de séjour saisonniers, le bouche-à-oreille fonctionne à merveille. D'ailleurs, c'est l'unique canal pour les hébergeurs et hébergés ! De plus en plus, du planton au directeur, les employés de tous les secteurs et services sont harcelés par leurs pairs et collègues des wilayas de l'intérieur pour leur trouver points de chute et hébergements temporaires. La côte mostaganémoise jouit d'un tropisme particulièrement attractif pour les estivants des Hauts-Plateaux, de l'Algérois et de la communauté émigrée, en France notamment. À la faveur du vide juridique inhérent, mais surtout de la forte demande exprimée, conjuguée parfois à l'état d'indigence des locateurs qui y trouvent un précieux appoint financier, les maîtres de la spéculation et les courtiers n'ont pas tardé à investir le créneau. “Dès les mois de février et mars, ces derniers négocient et louent logements ou parties de logement au niveau des hameaux balnéaires, agglomérations ou douars côtiers !” nous apprend Lakhdar, un habitant de Sidi-Lakhdar, très au fait du phénomène. Par effet de domino, toute la population du littoral semble intéressée par la rente estivale, nette d'impôts. Ainsi déserte-t-on son logement implanté dans l'agglomération ou en ville, en allant s'entasser chez les parents, en retournant occuper l'habitation qu'on a abandonnée au douar, ou en louant temporairement un logement relativement éloigné des plages. Ceux qui n'ont point où aller, s'agglutinent dans une ou deux pièces et cèdent les autres à leurs hôtes d'été. Devant la poussée de la demande, garages, hangars ou anciennes écuries sont sommairement aménagés et cloisonnés en “auberges” de fortune. Aux Sablettes, principale station balnéaire dominant la baie d'Arzew, les structures d'hébergement ne sont pas faites pour l'accueil des titulaires de petites bourses. En nombre réduit, les suites sont proposées à partir de 4 000 DA ; les bungalows sont hors de portée même pour le cadre moyen : 12, 14 et même 24 millions de centimes pour y passer un mois dans le meilleur des conforts ! “C'est parce qu'il n'y a pas suffisamment d'offres pour susciter la concurrence et la casse des prix”, explique Habib, un fin habitué du site. Dans ce hameau balnéaire en perpétuelle quête de réhabilitation, un atout d'importance est tant vanté : la quiétude et la sécurité. Plus de 6,5 millions d'estivants ont fréquenté les 19 plages ouvertes l'an dernier à la baignade sur la côte mostaganémoise, selon les statistiques relevées par les services de la Protection civile. Ce chiffre serait, en fait, beaucoup plus important si l'on considère les estivants qui, se baignant ou pas, préfèrent se rendre sur les innombrables criques, les petites plages à l'accès difficile ou dans les hameaux balnéaires non autorisés à la baignade, mais nettement plus calmes et discrets, à l'instar de Salamandre. M. O. T.