(À l'occasion du procès des opérateurs incriminés dans les effets du séisme de Boumerdès, nous rééditons la chronique publiée le 20 mai 2004, un an après la catastrophe). “Demain, Boumerdès se rappellera de son drame. Le séisme, phénomène naturel, aura été à l'origine d'une catastrophe qui a fait plus de 2 200 victimes et privé la majorité des citoyens du périmètre concerné de leurs toits. La question de l'assistance matérielle, laborieuse à ses débuts, est aujourd'hui dépassée. Et tant mieux que soit franchi le stade du relogement des sinistrés du 21 mai 2003. Peut-être que les sinistrés, au sens résidentiel du terme, n'existant plus — en tout cas pas du fait du tremblement de terre, pourra-t-on porter la réflexion vers la condition naturelle de sinistrés potentiels de la grande majorité des Algériens. Il n'est plus nécessaire d'être introduit à la physique de l'écorce terrestre pour observer que l'Algérie dans sa partie septentrionale, c'est-à-dire dans sa partie surpeuplée, est à la merci du mouvement permanent du sol. Chlef, Aïn Témouchent, Boumerdès et bien d'autres drames moins éprouvants qu'eux, survenus ces dernières décennies, confirment ce qui se savait, mais qui, comme bien entendu, était occulté. Parce que les pouvoirs n'aiment pas ce qui les oblige à l'anticipation, le séisme n'est pas considéré comme un aléas prévisible ; il est ignoré. Il est ignoré dans l'organisation même de l'Etat qui n'est pas structuré pour y réagir, puisque depuis 1980, un pays qui a connu des dizaines de désastres, et parfois plusieurs dans la même année, entre secousses telluriques et inondations, est toujours réduit à riposter dans l'improvisations et par des commissions conjoncturelles, sans mode opératoire et avec des plans Orsec de pure forme. Le rôle déterminant du bénévolat dans les premiers jours du séisme de Boumerdès, les lenteurs des interventions malgré les moyens considérables mis à disposition par l'aide internationale, montrent le degré d'impréparation d'un pays pourtant en permanence candidat au séisme. Le séisme, comme forte probabilité, est aussi ignoré dans la démarche de construction. La culture de la quantité, qui méprise la référence architecture, la rigueur technique et le critère environnemental, méprise aussi l'impératif de sécurité de l'habitant. La catastrophe de Boumerdès, comme aucun des drames passés, n'aura pas servi à une prise de conscience pour une norme d'habitat qui a intégré la situation d'un pays géologiquement exposé. Nous aurons donc à souffrir d'autres catastrophes dans un futur difficile à évaluer. Les pouvoirs publics du moment auront alors tout le loisir d'invoquer la catastrophe naturelle. La sémantique, par elle-même, est déresponsabilisation. Le séisme est en effet naturel, mais pas ses conséquences qui dépendent immédiatement du mode de vie en général, et du mode de construction en particulier. Passée l'euphorie des séminaires et colloques, la vague d'accusations mutuelles entre architectes, constructeurs, donneurs d'ordre et autorité, l'Algérie est revenue au ronron du nombre de logement dont la construction est lancée engagée ou achevée. À Zemmouri, même le discours du chiffre est repris, à l'occasion des théâtrales inaugurations télévisées. Mais pas une loi, dans un pays qui, naturellement en effet, appelle la plus grande fermeté dans l'application de règles les plus implacables en matière de construction. Ne serait-ce que pour que la perte des vies humaines, le 21mai 2003 servent à quelque chose. Car, encore une fois le séisme est naturel pas la catastrophe”. M. H. [email protected]