L'affaire du séisme de mai 2003 s'est soldée par une relaxe générale. Sans préjuger de ses arguments, il faut bien observer que la cour de Boumerdès a finalement posé la question de la pertinence des poursuites engagées contre les responsables présumés de l'aggravation des effets du tremblement de terre. En tenant le procès dans une salle spécialement aménagée, les autorités s'attendaient peut-être à offrir le spectacle qui témoignerait de leur fermeté quand il s'agit de sévir contre les responsables des souffrances endurées par les familles victimes de la catastrophe. Certes, il n'est pas raisonnable d'imputer l'entière responsabilité du funeste bilan au phénomène naturel. Ce serait trop facile de clore le dossier en s'en tenant à enregistrer l'effet meurtrier et destructeur de… la catastrophe naturelle. Mais si ce dossier devait connaître un traitement judiciaire, il fallait préalablement s'assurer que l'Etat dispose des moyens de faire la part entre la responsabilité humaine et l'effet de l'évènement cataclysmique. Les débats, laborieux, ont peut-être montré que l'état des connaissances universelles et le niveau d'organisation de nos institutions privent la justice d'instruments d'évaluation de ces responsabilités. Au demeurant, juger les entrepreneurs et superviseurs ayant opéré dans les zones endeuillées par le séisme dit de Boumerdès reviendrait à ne sanctionner que les constructeurs de bâtiments dont les éventuelles imperfections sont révélées par quelque calamiteux accident. Or, la tragédie de 2003 n'a pas révélé le caractère sismique de l'ensemble du pays, tout au moins dans sa partie nord, la plus densément bâtie et peuplée. Dans notre culture judiciaire, peut-être plus que dans le droit, on n'a pas encore conçu la possibilité d'une défaillance de l'Etat, parce que ça reviendrait à concevoir la défaillance de l'infaillible pouvoir. Le système, ayant posé cette virtualité comme une absurdité, s'emploie tout de même à rechercher des fautifs à présenter à une opinion choquée par un drame ou éprouvée par un malheur. L'affaire du naufrage d'un cargo de la CNAN, il y a quatre ans, avait déjà laissé ce sentiment d'un procès tenu pour se défausser. Comment, en effet, un bateau peut-il sombrer et son équipage périr à l'entrée du port de la capitale ? Des prévenus ont été lourdement condamnés, mais bien malin qui nous dira, aujourd'hui, qui est responsable du sauvetage en mer ! À Boumerdès, la justice aura courageusement rejoint la position du juge d'instruction qui avait, dans l'anonymat, rendu deux ordonnances de non-lieu. La question est de savoir si quelque chose a été fait pour que ce que Boumerdès a vécu ne se reproduise plus ailleurs si les mêmes circonstances naturelles s'y reproduisent. Les Algériens gagneraient aussi à être convaincus que des mesures ont été prises, et s'appliquent désormais, pour prévenir l'existence, dans le bâti d'après 2003, d'éléments aggravants d'une catastrophe naturelle. L'institution judiciaire est faite pour rechercher la vérité avant de rendre justice. Quand elle n'a pas les moyens de réaliser la tâche préalable, elle ne peut pas s'acquitter de la suivante. À Boumerdès, la justice a gagné son procès. M. H. [email protected]