Depuis une quinzaine de jours, Oran vit aux couleurs et aux accents des émigrés qui investissent, avec leur dégaine reconnaissable, les rues de la ville et les plages du littoral. Chaque jour, ce sont deux car-ferries qui accostent au port d'Oran et rois à quatre vols qui sont enregistrés au niveau de l'aéroport d'Es Senia. Cette “lâchée” des émigrés est devenue le phénomène estival à Oran qui se répète chaque année avec toujours plus d'estivants en provenance de plusieurs pays d'Europe. Le rituel des émigrés qui, voitures rutilantes et porte-bagages plein à craquer, débarquent au bled, est certes toujours une réalité. Les cadeaux made in pour la famille sont un rite qui participe à perpétuer cette image que “là-bas, tout est possible et à portée de main”. Mais ces dernières années, il y a une tendance révélatrice du changement de comportements sociaux des deux “communautés”. Pour s'en convaincre, il suffit de suivre et d'écouter nos familles émigrées qui arpentent les artères d'Oran, les places informelles, M'dina J'dida et autres souks. En effet, entre les visites familiales et les séjours en bord de mer pour parfaire le bronzage, les émigrés font de plus en plus d'emplettes et achètent de plus en plus des gammes de produits en tous genres. Par le passé, c'était classique, normal, les émigrés emportaient d'Algérie dans leurs bagages des gâteaux traditionnels, des épices au bon goût de chez nous, parfois un pot de miel aux bienfaits reconnus, des produits artisanaux, style petite poterie pour un ami, un voisin… Mais voilà, aujourd'hui, les douaniers voient repartir des épiceries complètes, des pâtes, du café, du lait en poudre, des effets vestimentaires, des produits cosmétiques, des médicaments… Il y en a même qui repartent en avion avec un bon kilogramme de crevettes royales. Au détour d'une ruelle, nous demandons à une femme émigrée, accompagnée de sa sœur qui vit à Oran, ce qui la pousse à acheter ici. “Moi, je cherche des rideaux, des voilages. C'est moins cher ici… Vous savez, ce qui est intéressant c'est que vous pouvez marchander tout ce que vous achetez, même dans une boutique de vêtements. Là-bas, c'est pas possible ! Et puis, il y a des choses bien de chez nous qu'on ne peut trouver qu'au pays… ”, nous dit-elle avec un grand sourire. Certains émigrés, s'ils en avaient la possibilité, retourneraient en France avec leur petit marché de produits maraîchers, car ils leur trouvent une bien meilleure saveur, comme pour la tomate, par exemple. Est-ce là une réalité, ou l'effet psychologique du “ouahch” ? Mais en réalité, ce qui permet cette tendance lourde est que les émigrés eux-mêmes sont réticents à vous dire c'est le change parallèle. En effet, la parité du dinars par rapport à l'euro leur permet de supporter durant un séjour l'inflation locale. Pour les commerçants algériens, c'est une aubaine, ils font du “bizness” tout en reconnaissant que les émigrés, malgré tout, calculent quand même quand ils achètent. Une récente étude réalisée par des banques européennes a conclu que les transferts financiers des émigrés vers leur pays d'origine atteignent les 13 milliards d'euros annuellement et que l'Algérie est première avec plus de 3 milliards, mais tout passe par des circuits informels. Voilà les courses au bled, ça marche plus que jamais… F. BOUMEDIENE