Algérie-Brésil. Le fantasme footballistique de tout Algérien se réalise ce soir à Montpellier. Si l'on peut n'y voir qu'un simple match amical coincé dans le calendrier infernal du football international, la petite histoire d'Algérie-Brésil est assez cocasse pour être occultée. En ce 17 juin 1965, Oran s'était vidée. Dans un stade Bouakeul, la foule suffoquait de chaleur et de plaisir. Sur le terrain, Pelé foulait une pelouse algérienne sous le regard de plus de 20 000 Algériens en délire, dont Ahmed Ben Bella qui assistait à son dernier événement en tant que Président. Les Brésiliens tenaient à venir jouer ce match. Ils avaient vu, pour certains, le talent et la classe des joueurs de la fameuse équipe du FLN, entendu des histoires sur Makhloufi, le “Pelé blanc” que certains trouvaient plus fort que le Français Kopa que les Brésiliens ont croisé lors du Mondial en Suède en 1958. Après une virée à la Madrague où ils étaient logés, et des orgies de poissons dans une Algérie qui respirait le bon air de la liberté post-coloniale, Pelé et ses camarades sont partis affronter l'Algérie à Oran sans qu'ils se doutent que cette Algérie de leur rêve, qui avait accueilli Che Guevara, Mandela, Malcolm X et Amilcar Cabral, était à deux jours d'un coup d'Etat. Sur le terrain, des bribes de témoignages ont survécu. On ne sait plus grand-chose de ce match si ce n'est que le Brésil l'a plié en une demi-heure. Gerson, puis Pelé et Gerson ont assommé les Algériens d'un 3-0 en 25 minutes de jeu. Mais l'important n'était pas le score. Le match était pourtant sérieux puisque les Brésiliens préparaient la Coupe du monde 1966. En face, les Zerga, Zitouni, Bourouba, Lekkak, Soukhane, Makhloufi, Oudjani et Mattem leur donnèrent une réplique honorable. Dans les gradins, l'ambiance était autre. Le sort d'Ahmed Ben Bella était déjà scellé par le groupe de Houari Boumediene, dans lequel figurent Abdelaziz Bouteflika, mais également d'autres acteurs importants du futur Conseil de la révolution. Comme le Brésil qui connut ses périodes de loi martiale, l'Algérie ne dérogeait pas à la règle des lendemains d'indépendance difficiles. Rare témoignage, celui du colonel Benchérif qui décrivait les soubassements de cette journée historique à plus d'un point : “Le lendemain, j'avisais Boumediène que j'allais rejoindre Ben Bella à Oran pour assister au match du Brésil où évoluait Pelé. Devant la tribune où j'avais pris place derrière Ben Bella, Mahmoud Guenez était chargé du service d'ordre et avait placé une haie de sa milice. J'ordonnais la mise en place en double effectif d'une haie de gendarmes et je vis à la mimique de Ben Bella que, pour lui, la présence des miliciens était plus sécurisante.” À la mi-temps, Ben Bella descendit aux vestiaires des doubles champions du monde, prenait la pose avec Pelé, déjà remplacé par Bianchini, et se faisait dédier un maillot. Certains ont cru entendre le premier président algérien dire à Edson Arantès do Nascimento qu'il était également un ancien footballeur du club de… Maghnia, et qu'il lui arrivait de taquiner le cuir. De retour à la tribune officielle, l'ambiance délétère de l'avant-putsch donnait lieu à des scènes bizarres, voire prémonitoires, comme ces jets de petits bouts de papier par le public en direction de Ben Bella. Comme ces mouchoirs blancs qui condamnent un torero lors d'une corrida. Il faut dire que l'arbitre est espagnol (Antonio Piaz) et siffla la fin d'un match dans la bonne humeur et la liesse des Algériens trop heureux d'avoir côtoyé et vu les dieux du football mondial. 42 ans après, les Brésiliens croisent à nouveau la route des Algériens. Les Brésiliens du Maghreb rencontrent les Brésiliens tout court. Kaka, Ronaldhino et consorts ignorent les noms des joueurs algériens tant notre football est tombé en désuétude. Ronaldhino, qui se plaît à faire le fameux râteau sur son flanc gauche, ignore que Salah Assad a rendu ce geste célèbre dans le monde comme la talonnade de Madjer est entrée dans le jargon sportif. Algérie-Brésil n'est pas un choc au sommet du football, alors que ça pouvait l'être. C'est juste un match entre sudistes. Entre une puissance émergente, le Brésil, et une sous-puissance immergée, l'Algérie, ballottée au gré des contradictions affirmées de la mondialisation. Quand on a recroisé la route des Brésiliens en 1986, Socrates, Zico, Falcao et Junior, les Algériens étaient encore sûrs de leur football ; même sur d'eux. Il faut dire que durant les années 1980, le Brésil était en crise économique et l'Algérie nageait dans l'opulence financière grâce à des revenus pétroliers colossaux. On se permettait alors d'inviter à coups de devises les meilleurs clubs brésiliens dont l'Atletico Mineiro, Flamengo ou Gremio Porto Alegre que les Belloumi et autres Madjer se sont fait un plaisir de battre avec un football qui sentait un peu la samba. Depuis, le bilan du football algérien est aussi vierge que l'Amazonie. Mounir B. 18 juin 1965 à Oran Algérie - Brésil (0/3) Buts : Pelé (18'), Dudu (29') et Gerson (81') Composition des équipes Algérie : Zerga, Mezzara, Bourouba, Salem, Melaksou, Defnoun, Lekkak (Zitouni A.), Soukhane A., Oudjani, Mekhloufi R., Mattem. Entraîneur : Ibrir. Brésil : Manga, Djalma, Santos, Bellini, Orlando, Altair, Dudu, Ademir (Gerson), Garrincha, Flavio (Rinaldo), Pelé. Entraîneur : Feola. 3 juin 1973 au stade du 5-Juillet Algérie - Brésil (0/2) Buts : Rivelino (42') et Paulo Cesar (51'). Composition des équipes : Algérie : Ouchène (Abrouk), Khedis, Ighil, Madani, Hadefi, Fendi, Banus (Djebara), Salhi Ayachi, Fergani, Draoui. Entraîneur : Amara Saïd. Brésil : Renato, Chiquinho, Piazza, Ze Maria, Clodoaldo, Marco, Antonio, Valdomiro, Rivelino, Leivinha, Paulo César (Edu). Entraîneur : Zagalo. 6 juin 1986 au stade de Guadalajara, phase finale du Mondial de Mexico Algérie - Brésil (0/1) But : Careca (67') Composition des équipes : Algérie : Drid, Medjadi, Guendouz, Magharia, Mansouri Fawzi, Kaci-Saïd, Madjer, Benmabrouk, Menad, Belloumi (Zidane Djamel), Assad (Bensaoula). Entraîneur : Rabah Saâdane. Brésil : Carlos, Edson (Falcao), Cesar, Edinho, Brito, Junior, Leal, Socrates, Casagrande (Muller), Careca, Elzo. Entraîneur : Tele Santana. 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