Si les conditions météo y sont pour quelque chose, reste que l'envolée des prix est imputable au comportement mercantile des barons des fruits et légumes. Mercredi 22 août 2007. Il est 4h du matin. Le marché de gros de Bougara, dans la wilaya de Blida, est déjà ouvert. Il fait encore nuit mais cela n'empêche pas les habitués des lieux de commercer. Les acheteurs qui se trouvent être le plus souvent des détaillants sont tous munis de lampes de poche pour contrôler la qualité de la marchandise. De toutes les manières, ils ont beau prendre toutes leurs précautions, cela ne leur épargnera pas pourtant d'une arnaque : le fardage est pratiqué par l'ensemble des vendeurs. Ces derniers choisissent les rares beaux légumes ou fruits pour les placer sur la coiffe des cageots. Dans la partie réservée à la pomme de terre, quelques grossistes venus des wilayas de Mascara, Sétif, Bouira... proposent ce tubercule à 55 DA le kilo. “Cette année la récolte de la pomme de terre a été médiocre. Il n'a pas plu en hiver et les pluies du printemps ont développé un fort taux d'humidité, ce qui a provoqué l'apparition du mildiou, un champignon qui fait des ravages dans les champs de pommes de terre et dans les vignes. C'est pourquoi la pomme de terre est si rare. La qualité de la semence importée lors de la dernière campagne est elle aussi de très mauvaise qualité”, explique un vendeur de pomme de terre originaire de Mascara. Selon lui, les prix atteints par ce légume s'expliquent aussi par la cherté des engrais et du fuel. “Certes, à 55 DA le kilo de pomme de terre, c'est tout de même très cher, mais il faut savoir que le fellah travaille presque à perte”, explique-t-il encore. D'ailleurs les quantités de pommes de terre proposées à la vente ne sont pas très importantes. Grossistes et détaillants négocient les prix de la marchandise, et plus la pomme de terre est grosse, plus son coût monte. Des patates canadiennes qui font fuir le client Pourtant, pour les initiés et les gastronomes, la meilleure pomme de terre est celle de calibre moyen ou encore mieux la toute petite, à préparer en robe de chambre (sans la peler). Les habitudes gastronomiques étant faussées, comme tant d'autres choses en Algérie, et, c'est la “grosse patate” qui a la côte car elle est facile à éplucher. Quelques grossistes proposent de la pomme de terre importée du Canada, mais les acheteurs la boudent. “Qui a autorisé l'importation de cette pomme de terre. Regardez-la bien. Elle est de très mauvaise qualité. Elle a été récoltée en 2006, et au Canada, je suis sûr qu'elle était destinée à l'alimentation du bétail”, affirme un détaillant qui refuse d'en d'acheter, même si son prix est quelque peu attractif : 30 DA le kilogramme. Certains commerçants n'hésitent pas à accuser les spéculateurs de cacher des quantités de pommes de terre pour ne les proposer à la vente qu'au début du Ramadhan. “Rappelez-vous bien de ce que je vous annonce aujourd'hui : durant le Ramadhan, le prix de la pomme de terre atteindra les 150 DA”, prédit un mandataire. Les autres étals du marché de gros de Bougara ne sont pas bien achalandés et la qualité laissant toujours à désirer. Dans une anarchie indescriptible, les acheteurs arrivent difficilement à se frayer un chemin, car des enfants en bas âge poussant des charrettes encombrent toutes les allées. Au milieu de ce brouhaha, les activités commerciales continuent et cela ne semble gêner personne. “Ces jeunes nous sont très utiles, car ce sont eux qui transportent les caisses vers les camions et les camionnettes stationnés dans le parking”, explique un commerçant. Au rayon des légumes, les grossistes ne proposent que quelques caisses de poivrons, de courgettes, de haricots verts, de tomates, d'aubergines... Les courgettes valent 18 DA le kilo, les aubergines 10 DA, les haricots 25 DA, les poivrons 20 DA et la tomate 20 DA le kilo aussi. Après la pomme de terre, ce sont les navets qui coûtent le plus cher : 40 DA le kilo. “La culture du navet exige beaucoup d'eau en été, et comme c'est un légume très utilisé dans les fêtes ,son prix reste élevé”, dit un grossiste. Les détaillants, les restaurateurs et les responsables des cuisines collectives qui viennent s'approvisionner dans ce marché trouvent que les prix sont hors de portée des petites bourses. “L'année passée, les camions faisaient la chaîne sur des kilomètres avant de pouvoir décharger leurs marchandises. Les prix étaient très abordables et je me rappelle encore que la tomate ne trouvait pas acquéreur à 8 DA le kilogramme. Quant à l'oignon, qui se vend aujourd'hui à 10 DA, les grossistes nous suppliaient de l'acheter à 3 DA”, se rappelle un détaillant qui affirme, par ailleurs, que les citoyens leur reprochent les augmentations des prix : “Vous constatez vous aussi que les prix sont élevés ici au marché de gros. Que voulez-vous que je fasse ? Je ne prends pas de grosses quantités pour éviter de perdre de l'argent car vu les prix des fruits et légumes, les citoyens n'achètent plus comme avant.” Les grossistes qui connaissent bien le monde de l'agriculture estiment, pour leur part, que la rareté de la marchandise trouve son explication aussi dans les pertes subies par les fellahs durant la saison écoulée. L'impact des pertes de la récolte précédente “Aujourd'hui, tout le monde réagit car les prix sont à la hausse, mais qui s'était soucié l'année passée des pertes que les fellahs avaient subies ? Pour ne pas perdre cette année, les fellahs ont décidé de ne pas semer de grosses quantités et cela a eu pour effet immédiat l'augmentation des prix des fruits et légumes”, affirme un vendeur de pommes de terre originaire de Sétif. Mêmes les fruits n'échappent pas à la règle. Au rayon qui leur est réservé, dans un coin du marché, seuls quelques grossistes tentent de vendre les quelques caisses qu'ils sont arrivés à dénicher auprès des producteurs. Surveillant son étal où est exposée une dizaine de petites caisses de figues fraîches, un grossiste se sent gêné lorsqu'il doit annoncer le prix : 170 DA le kilo. “Désolé, mais je ne peux les acheter car pour réaliser un petit bénéfice je dois les revendre à 200 DA le kilo au minimum. Or, je suis dans un marché situé dans un quartier populaire. Personne ne les achètera à ce prix”, affirme pour sa part un marchand de fruits au détail. Comme un malheur ne vient jamais seul, même les fruits d'importation font défaut cette année car l'été a été pluvieux en Europe, hypothéquant la récolte des pommes et des poires dont c'est la pleine saison. Le seul grossiste qui propose des pommes d'importation n'a que quelques caisses et bien entendu pas du premier choix. Pourtant, même si elles ne sont pas de première fraîcheur leur prix atteint les 170 DA le kilo. Le raisin est à 70 DA le kilo. “L'année dernière les grossistes refusaient de réceptionner le raisin tellement la récolte avait été excellente et son prix ne dépassait pas les 25 DA le kilo en gros”, ajoute un autre grossiste. Même les bananes sont rares en cette période, ce qui est exceptionnel, selon les vendeurs. “La banane n'a pas de saison, elle est disponible toute l‘année, mais cette fois nous sommes étonnés de constater sa disparition des étals”, déclare un commerçant venu s'approvisionner en fruits. Certains pensent même qu'il s'agit là d'une attitude adoptée par les spéculateurs qui reportent leurs programmes d'importation, afin de les faire coïncider avec le début du Ramadhan et ce, dans un but bien précis : augmenter les prix. Au marché de gros des Eucalyptus, c'est le même constat et les prix sont identiques à ceux pratiqués à Bougara. Selon le constat dressé par les commerçants, nous sommes au bord d'une véritable crise, car l'hiver n'a pas été pluvieux en Algérie, ce qui n'a pas encouragé les fellahs à cultiver leurs champs et les pluies estivales en Europe n'annoncent rien de bon. “En un mot, je crains le pire, car d'habitude lorsque la saison est mauvaise en Algérie, nous importons les légumes et les fruits d'Europe. Or, cette année la récolte est mauvaise aussi outre-mer. Comment allons-nous faire”, se plaint un grossiste. S. I.