Espace privilégié de rencontre entre acheteurs et mandataires de fruits et légumes des wilayas de Guelma, Skikda et El-Tarf, le marché d'Internet national, autrement appelé marché de gros d'El-Bouni, ne répond aucunement aux normes requises pour ce type d'activités. Le visiteur peut être choqué par l'état d'abandon et d'insalubrité qui caractérise cet édifice aux dimensions ambitieuses qui faisait la fierté de l'administration locale dans les années 80. Celui-ci sera très certainement scandalisé par la désorganisation qui y règne à l'intérieur. À peine le portail principal du halle franchi, on ne peut s'empêcher, en effet, d'avoir un mouvement de recul tant l'anarchie est grande dans les couloirs qui séparent la centaine de magasins d'entreposage. Bien qu'il y ait suffisamment de place pour le stationnement normal de plusieurs camions de moyen tonnage, il est quasiment impossible de se frayer un chemin sans heurt. Un véritable parcours du combattant est imposé à quiconque essayant d'atteindre l'autre extrémité du bâtiment, entre la multitude de cageots et cagettes entreposés pêle-mêle à même le sol et les clients occupés à négocier avec les mandataires. Les porte-faix, qui tentent tant bien que mal de pousser leurs charrettes à travers la foule, ajoutent à la confusion ambiante, le tout dans des locaux où l'électricité et l'eau courante n'existent pratiquement pas et où les installations de conditionnement n'ont jamais fonctionné. Ceci pour le décor… L'objet de notre visite au marché de gros étant de savoir ce qui s'y passe pour expliquer un tant soit peu la flambée des prix des fruits et légumes ; nous nous sommes rapprochés de quelques-uns des mandataires. “Il me semble que vous vous trompez d'interlocuteurs en vous adressant à nous. Le marché de gros de Annaba subit le contrecoup des spéculations des gros bonnets qui fixent les mercuriales à Chelghoum-Laïd, à Boufarik et à la Halle centrale d'Alger. Nous ne décidons de rien à notre niveau, contrairement à ce que beaucoup de gens croient”, affirme avec gravité ce sexagénaire, qui avouera n'avoir jamais vécu pareille situation en quarante ans d'activité dans le domaine. La hausse des prix stagne “Il est vrai que le pays a connu des périodes de pénuries de toutes sortes de marchandises, mais les conséquences de la rareté de tel ou tel autre produit restaient maîtrisables. Il y avait, quoi qu'on en dise, une autorité de régulation pour mettre le holà aux appétits des gros mandataires, surtout lorsqu'il s'agissait des légumes de large consommation. Aujourd'hui, on constate que la pomme de terre, par exemple, est cédée entre 55 et 60 dinars au prix de gros, presque au même prix que la banane.” Cet autre commissionnaire reconnaît que la hausse vertigineuse qu'ont connue les prix de la majeure partie des fruits et légumes est inquiétante surtout qu'elle stagne à des niveaux inaccessibles pour le simple citoyen. Il tentera d'expliquer cela par une trop forte demande qui vient s'exprimer, alors même que le pouvoir d'achat s'érode dramatiquement. “Je suis plutôt sceptique quand on me dit que les productions ont baissé en deçà des quantités habituelles ou que la libération des prix sont les facteurs favorisants de cette flambée”, ajoutera-t-il tout en rappelant que le meilleur moyen de contrôle des prix peut s'exercer par le consommateur lui-même. “Opposer l'abstinence au diktat des spéculateurs est encore un moyen que la société civile peut faire prévaloir faute d'autre alternative légale.” Suggestion à laquelle il est difficile d'accorder un crédit sérieux quand on sait que les mandataires du marché de gros d'El-Bouni s'approvisionnent dans leur grande majorité auprès des petits producteurs de la région. Les exploitants des maraîchers des wilayas de Guelma, Skikda et El-Tarf, en plus de livrer à domicile les grossistes, pratiqueraient des prix plutôt engageants pour le consommateur s'il n'y avait pas le phénomène de la surenchère. Nous apprenons à titre indicatif par un employé du MIN que les fruits et légumes, tels que la tomate, la courgette, les haricots verts ou encore l'oignon, sont acquis à respectivement 30, 25, 60 et 12 dinars par les grossistes, alors qu'on les retrouve sur les étals des détaillants au double de leur prix initial. Une aberration que se rejettent ceux-ci en arguant de la libre pratique des prix si ce n'est des surcoûts induits par les frais de manutention et de transport. L'absence de facturation, quelle que soit l'origine du produit, ne permet pas de situer l'ampleur de l'“escroquerie légalisée”, dont l'unique victime n'est en fin de compte que le citoyen démuni. À ce propos, on nous dira qu'en règle générale, les négociants en fruits et légumes présentent aux services de police et de gendarmerie (en cas de contrôle) un simple bon de livraison en guise de facture. Bon sur lequel ne figurent que les quantités transportées, sans aucune autre indication, et que ne délivrent que les mandataires des halles centrales des Eucalyptus, quand la cargaison provient d'Alger, et ce n'est pas souvent le cas. Un retour à une normalisation du marché d'ici la mi-septembre prochaine, donc au début du mois de Ramadhan, serait toutefois encore possible, à en croire un autre mandataire. Celui-ci affirme, en se fondant sur sa longue expérience dans ce secteur, que la folie qui s'est emparée des commerçants n'est que passagère et que les prix seront revus à la baisse, en tout cas à la portée des petites bourses. Le peuple livré pieds et poings liés aux requins de la spéculation ne demande que ça. Il ne lui reste plus donc qu'à espérer des lendemains qui chantent… A. ALLIA