Photo : S. Zoheir Par Ziad Abdelhadi C'est à croire qu'on a affaire à une véritable course contre la montre. A peine les collecteurs de fruits et légumes ont-ils commencé à décharger leurs cargaisons de leurs camions, dont les plaques d'immatriculation nous renseignent sur l'origine de la marchandise, qu'ils sont sollicités par des visiteurs. Et quels visiteurs ? Ce sont, bien sûr, des détaillants venus pour s'approvisionner. A la veille du mois de Ramadhan, ils savent pertinemment sur quels produits végétaux doubler l'achat. Leur expérience les guide dans leur choix. D'autant qu'il faudra vite faire ses achats pour pouvoir transporter leurs marchandises d'assez bonne qualité et les écouler le plus tôt possible. Deux ou trois visites des carreaux de mandataires et quelques virées vers les vendeurs-collecteurs suffiront pour jeter leur dévolu sur certains amoncellements de cageots. Une fois la cible identifiée, les tractations commenceront pour rabaisser les prix affichés. C'est peine perdue. Les grossistes ne cèdent pas d'un pouce. Ils sont fermes, en arguant que leurs marchandises sont fraîches et provenant d'une récente récolte, contrairement à leur collègue d'à côté étalant des produits dont la fraîcheur laisse à désirer. Le détaillant avance un prix au kilogramme, le grossiste fait signe à son client de revoir à la hausse son offre d'achat, sans trop réfléchir. On relance l'offre. L'écart n'est plus aussi important. D'un côté comme de l'autre, on essaye de se convaincre. Mais, en ces jours, où la consommation va monter au quotidien, les détaillants ne s'attardent pas à trop négocier, et, du coup, c'est le grossiste qui a le dernier mot non sans rappeler que, dans l'esprit des détaillants, le bénéfice étant garanti, car ils sauront vite traduire l'effort consenti à se ravitailler à prix fort sur les tablettes d'affichage des prix plantées sur leurs étals. Nous avons pu remarquer, lors de notre passage dans les trois marchés de gros cités plus haut, que les cageots de tomate, de concombre et de haricot de bonne qualité sont vite liquidés. En effet, une heure après l'ouverture du marché de gros, tout est vendu, il ne reste que des produits de second choix, boudés par les détaillants. Offrir de la bonne qualité aux clients pour justifier le prix affiché au kilogramme. Des marges de bénéfice très élevées pour les détaillants Les mandataires, propriétaires de carreaux au sein des trois marchés de gros, vers lesquels nous nous sommes rendus la semaine dernière et que, à l'occasion, nous avons interpellés, sont unanimes dans leur réponse sur l'écart si important entre les prix de gros et ceux de détail. Selon ces derniers, la convention signée avec les fellahs-fournisseurs ne permet pas d'avoir une marge bénéficiaire assez conséquente sur les produits proposés à la vente sur nos carreaux «dans le sens où il est de notre intérêt de libérer au plus vite notre espace de vente moyennant un maigre bénéfice, car, le lendemain, d'autres arrivages sont attendus, et sans dire à nos fellahs-fournisseurs que nous pouvons réceptionner leurs récoltes. En d'autres termes, pour nous assurer de la disponibilité d'espaces, nous écoulons nos cageots à des prix dont la marge bénéficiaire est parfois infime. C'est d'autant plus faisable à partir du moment où il existe entre nos clients fournisseurs un accord tacite et mutuel. Imaginez qu'en voulant tirer des profits importants, nous risquons de nous retrouver avec des méventes et, par voie de conséquence, de limiter nos espaces de réception. Autrement dit, refuser tout nouvel arrivage dans l'attente d'écouler les cageots précédents, ce qui n'entre pas dans les cordes de nos clients-livreurs. Devant un tel cas de figure, ces derniers se verront dans l'obligation de changer de mandataire à notre insu et à notre grande inquiétude quand cela devient indépendamment de notre volonté [voir encadré]». Et de nous préciser : «Voilà pourquoi il est de notre intérêt de ne pas être très gourmands sur le bénéfice à prélever lors de la vente. Ce qui n'est, malheureusement, pas le cas chez les détaillants. Et nous pouvons le prouver.» Un de nos interlocuteurs nous a même proposé de nous rendre incognito chez certains de ses clients détaillants qui activent dans plusieurs endroits de la wilaya d'Alger pour nous convaincre des marges bénéficiaires qu'ils détiennent. Ce que nous avons pu constater de visu : des écarts frisant parfois tout entendement. Ces jours–ci, les 20% sur le prix de gros n'est pas satisfaisant pour de nombreux détaillants. Ces derniers visent plus haut : les 40, voire les 60% quand le produit est hors saison ou très demandé durant ce mois. Le cas, par exemple, du citron vendu en gros à 95-100 DA au niveau des marchés de gros et affiché à 150 DA en détail. Les fruits n'échappent pas à la voracité des détaillants. C'est dire que le mois sacré est devenu, pour certains commerçants sans scrupules, une aubaine pour cumuler des bénéfices. Dire que les mandataires sont derrière la flambée des prix des fruits et légumes relève tout simplement de l'injustice envers cette catégorie. L'activité au sein des marchés de gros des fruits et légumes est à revoir Il suffit d'arpenter nos grands marchés de gros pour voir comment ils sont gérés. Et, on est en droit de se dire que ces lieux devraient connaître une imminente fermeture, tant l'hygiène y est grandement absente et l'anarchie y est des plus totales. Grossistes, livreurs-collecteurs, mandataires, détaillants, commerçants ambulants et charretiers ne sont soumis à aucune règle de bon usage des lieux. Ils n'en font qu'à leur tête, encouragés, certes, par les responsables des lieux, lesquels ne leur demandent en réalité que de s'acquitter de leur location ou de l'accès. Du côté du marché de gros de Hattatba, l'Entreprise du marché de gros des fruits et légumes (l'EPE–EMAGFEL), qui gère les lieux, a apporté des améliorations sur la sécurité des personnes qui fréquentent cette enceinte, l'hygiène, selon les dires du P-DG, M. Semsar, est assurée quotidiennement, et le balayage des allées du marché se fait chaque semaine à coups de jets d'eau. A comparer avec l'état des lieux des marchés de Bougara et de Khemis El Khechna, celui de Hattatba fait figure d'exemple à suivre. A croire que les gérants de Bougara et de Khemis El Khechna ne s'occupent que des entrées engrangées, en oubliant tout ce qui a trait au bon fonctionnement de ces lieux. En ces lieux, toutes les contradictions et les faiblesses du commerce national des fruits et légumes se concentrent. A Rovigo comme à Khemis El Khechna, on peut vite s'apercevoir de l'écart abyssal qui existe entre nos marchés de gros et ceux des pays proches. Le minimum de conditions qui caractérisent un marché de gros n'est pas rempli. Et pour preuve : la qualité des produits n'est pas tout le temps présente ou ne fait pas l'unanimité, le calibrage n'est pas de règle, l'hygiène est complètement absente. On se croirait plus sur un terrain vague où les restes de légume s'amoncellent ici et là, qui devient un véritable dépotoir après la manifestation d'un orage rendant ainsi les lieux difficiles à emprunter. En somme, «l'anormalité est devenue la norme en ces espaces», comme l'a bien décrit un ancien cadre de l'agriculture dans son approche sur les marchés de gros en Algérie. Selon ce dernier, «on ne devient pas du jour au lendemain gestionnaire d'un marché de gros ; il faut en avoir les compétences requises». Et de préconiser : «Nos marchés de gros ne peuvent devenir efficient que si le commerce des fruits et légumes est détenu par des professionnels.» Il y a lieu donc de les libérer des gérants actuels, peu enclins de se soucier de leur développement avec l'art et la manière. Z. A. Marché de gros de Khemis El Khechna : les mandataires en colère Les représentants des 150 propriétaires de carreaux du marché de Khemis El Khechna ont manifesté leur colère et leur désappointement devant l'indifférence et le mutisme de l'administration. Lors de notre passage, ils nous ont fait part de leurs doléances, adressées aux directeurs du marché, fraîchement installés. Selon leur dire, ils regrettent qu'aucune décision n'a été prise envers les mandataires (au nombre de 23), victimes d'un incendie qui a ravagé leur espace de travail, et se retrouvant ainsi sans travail depuis près d'une année. Ils s'étonnent que les travaux de réfection ne soient pas entamés dès l'instant où la tutelle réalise d'énormes entrées d'argent engrangées par les droits d'entrée et de location, et déplorent aussi le fait que l'administration tolère certains vendeurs qui s'adonnent à leur activité aux abords même de leurs carreaux en les pénalisant. «Nous payons assidûment nos loyers, alors à l'administration d'assumer ses devoirs d'entretien et du maintien de l'ordre sur les lieux du négoce.» Enfin, ils soulignent que ces représentants sont décidés affaire entendre leurs réclamations en usant de toutes les voies de recours «faute de quoi, nous obstruerons la porte du marché». Un avertissement lancé donc à l'administration.