La Kabylie a vécu, depuis le déclenchement des évènements du Printemps noir, au rythme des décisions avec lesquelles les délégués, représentants de la base citoyenne et issus des villages et quartiers, revenaient après de profonds débats jusqu'à l'obtention d'un consensus. Des débats qui se poursuivent souvent, si ce n'est toujours, la nuit et jusqu'à l'aube, parfois à cause d'un petit détail. Plus les conclaves passent, plus le goût de travailler en “nuit blanche” semblait s'accroître. Des conclaves, que ce soit de la CADC ou de l'interwilayas, toujours annoncés à 14h, 15h, 16h ou 18h, ne commencent qu'à 21h, minuit, si ce n'est 2h du matin ! Après 31 conclaves ordinaires de la CADC et 20 de l'interwilayas du mouvement citoyen, que de décisions prises ! La première, à Fréha (3 mai 2001), Béni-Douala (10 mai 2001), puis à Illoula Oumalou (17 mai 2001), consistait à tout faire pour calmer les jeunes afin que l'effusion de sang s'arrête. Il y avait déjà beaucoup de morts. Des parents des victimes étaient toujours présents aux rencontres, pour apporter des témoignages qui illustraient de véritables scènes de guerre. Eux aussi contribuaient à apaiser les esprits, en appelant au calme et à la vigilance. Au conclave d'Illoula Oumalou, une plate-forme de revendications a été élaborée. Le 11 juin à El-Kseur une synthèse des revendications de plusieurs wilayas (Tizi Ouzou, Béjaïa, Bouira, Sétif, Bordj Bou-Arréridj) a été élaborée et la décision d'une marche nationale et populaire à Alger prise, pour canaliser la colère juvénile, d'une part, et exiger du pouvoir, d‘autre part, la satisfaction de la plate-forme d'El-Kseur, qui comporte quinze points. Au conclave de la CADC à Azeffoun, le 6 juillet 2001, le mouvement citoyen se cherchait encore. Sa position contre le dialogue commençait à se dessiner. C'est aux Ouacifs, au mois de juillet, que les principes directeurs et le code d'honneur du mouvement ont été adoptés au niveau de la CADC et, au mois de septembre, à Ath Jennad au niveau de l'interwilayas. La désobéissance civile graduelle, qui a commencé le 31 août à l'issue du conclave interwilayas d'Imcheddalen, suite au non-paiement des factures d'électricité de la Sonelgaz, jusqu'à la défalcation de la quote-part destinée à l'ENTV, qualifiée par ailleurs d'“entreprise de la télédivision” après le montage de la marche historique du 14 juin. Le 6 décembre, après l'ouverture des négociations entre le gouvernement et les “dialoguistes”, les émeutes éclatent à travers toute la Kabylie, à l'issue de sit-in devant toutes les brigades de la gendarmerie. La plate-forme d'El-Kseur a été explicitée à Larbaâ Nath Irathen, le 31 octobre 2001. Ce souci a été suscité par le fait de vouloir la rendre “parlante”, le dialogue étant rejeté dès les premiers conclaves tant que le pouvoir ne se prononce pas clairement, à travers un communiqué public, sur la satisfaction pleine et entière de la plate-forme d'El-Kseur “scellée et non négociable”. Après plusieurs mois de combat, la sourde oreille du pouvoir, l'interdiction de toutes les marches à Alger et les déclarations incendiaires et répétées de M. Zerhouni poussent le mouvement citoyen à se radicaliser, décidant du rejet de toutes les échéances électorales tant que la plate-forme n'est pas satisfaite ; décision confirmée le 8 mars 2002 à Bechloul lors d'un conclave interwilayas, à l'issue duquel une lettre à la population algérienne a été adressée afin d'expliquer les raisons du rejet des élections. Au conclave interwilayas d'Ath Zmenzer, en août 2002, un document du rejet des élections locales a été adopté. S'ensuit la concertation avec les “parties concernées” qui sont, entre autres, les partis politiques démocrates, les personnalités, associations, etc. Le rejet des élections est une réussite totale. Même à l'échelle nationale, le pays n'avait jamais enregistré de taux aussi faibles. Des régions à travers tout le pays commencent à se structurer en comités de citoyens. Cela ne peut qu'encourager le mouvement citoyen à poursuivre son combat. K. S.