En Algérie, Nicolas Sarkozy viendra en VRP des entreprises françaises pour signer des contrats, mais de retour en France, il recevra les porteurs d'un passé qu'il nous propose de mettre entre parenthèses. Hasard du calendrier présidentiel ? En tout cas, ce hasard a une curieuse manière de souligner l'ambivalence de la rhétorique mémorielle de Nicolas Sarkozy. Le chef de d'Etat français, en effet, de retour d'une visite officielle qu'il effectuera à partir d'aujourd'hui en Algérie, recevra, presque à sa descente d'avion, le 5 décembre, des représentants d'associations de rapatriés d'Algérie. Entre harkis et pied-noirs, ils sont près de 300 à être conviés au palais de l'Elysée par Nicolas Sarkozy à parler histoire en ce jour anniversaire de la fin de la guerre d'Algérie. Prisonnier d'un discours électoraliste qui s'était allègrement emparé du petit jardin du Front national, Nicolas Sarkozy est-il aujourd'hui incapable en tant que président de développer une vision cohérente sur le contentieux historique qui oppose la France à l'Algérie ? Dans cette veine, on a toutes les raisons de croire que si le président français s'interdit toute référence à la guerre de mémoire, dans son périple algérien, ce n'est que partie remise, pour mieux parler “affaires” avec le président Abdelaziz Bouteflika. Est-ce pour autant qu'on doit accorder des circonstances atténuantes à la culture d'une duplicité de langage, qui pourrait épouser les contours d'un affreux dilemme que Nicolas Sarkozy traduit par une véritable fuite en avant ? À moins que le président français ait quelque intention de transformer un deal conjoncturel en accord définitif qui déchire carrément les pages de l'histoire commune à l'Algérie et la France. Ce qui n'est sûrement pas dans les intentions de notre président de la République qui a toujours souligné qu'il voudrait bien tourner la page et non la déchirer. En effet, il est difficile de regarder autrement l'avenir en convoquant séance tenante un passé douloureux. Sur ce point, les deux chefs d'Etat semblent être tombés d'accord puisqu'ils avaient décidé de mettre entre parenthèses les sujets qui fâchent le temps d'aligner sur la même fréquence capitaines d'industrie française et économie algérienne. Et tout porte à croire que, désormais, Alger et Paris vont jouer sur différents registres avec des politiques modulables à souhait, selon les intérêts du moment. C'est ce qui équivaut à peu de choses près au terme en vogue aujourd'hui de “realpolitik”. Une explication, pourquoi pas à cette ambivalence dans le propos de Nicolas Sarkozy du moins si l'on admet que celui-ci sert un discours à la carte selon qu'il s'adresse à l'Algérie officielle ou aux rapatriés d'Algérie. Autant dire que le président français joue sur deux registres à la fois. En développant deux discours : le premier destiné à regagner pour la France le terrain perdu en Algérie face aux autres puissances économiques mais aussi d'assurer pour son pays la sécurité en approvisionnement énergétique. Le second à consommation interne qui le met en phase avec plus de trois millions de rapatriés qui ont fortement contribué à son élection à la présidence française. Sarkozy a particulièrement séduit pied-noirs et harkis par ses positions tranchées sur la question de repentance. À son retour d'Algérie, il aura, en recevant les rapatriés d'Algérie, assurément la partie relativement facile, puisque d'un commun accord avec Abdelaziz Bouteflika ce sujet délicat sera mis entre parenthèses à Alger. Ce qui fait qu'il n'aura aucune prise de position à justifier à son retour, auprès des harkis et des pied-noirs. Reste à savoir comment le président français va gérer l'avenir du contentieux historique avec des responsables algériens qui lui ont bien fait comprendre qu'ils ne comptent pas lâcher du lest sur cette question. Car il faut bien admettre que Sarkozy et Bouteflika se sont accordés pour ainsi dire un sursis qu'ils ne pourraient pas reconduire à volonté. D'autant mieux qu'il s'agit d'un compromis qui reste quand même fragile, car il est en net décalage des positions de principes des deux présidents. En effet, la réhabilitation du passé colonial de la France est devenue une constance dans le discours de l'UMP et un projet politique pleinement assumé par Nicolas Sarkozy. La reconnaissance par la France des crimes contre l'humanité et les crimes de guerre commis au cours de la période coloniale, une donne fondamentale dans le projet politique de Abdelaziz Bouteflika. Ce qui n'a pas empêché les deux chefs d'Etat de trouver un terrain où ils peuvent s'entendre. Zahir Benmostepha