Les éléments de la Protection civile ont passé toute la nuit à déblayer les décombres. Bilan : six victimes ont été retirées des ruines, et les recherches continuent. La brume matinale s'est estompée pour laisser place à un épais nuage de poussière dû au déblaiement. Le bruit terrible des engins, les aboiements des chiens et les coups de pelle des unités de nettoyage réveillent les quelques âmes assoupies de la rue Raoul Payan. “Ah non ! Ils ont ramené des pelleteuses et les gros engins. J'ai quitté cette catastrophe à 4h du matin et il n'y avait pas tout ça. C'est bon, c'est le début de la fin… Mon oncle est encore dans son bureau au Pnud. Sa voiture est encore garée…”, éclate en sanglots une jeune femme. Il est 9h tapantes, le cordon de sécurité de la police, qui isole la zone ciblée par l'attentat a été élargi jusqu'au bas de la rue. On ne voit plus grand-chose. Des camions des unités de nettoyage cachent totalement les lieux. Sans aucune information de leurs proches, des dizaines de personnes tentent de forcer le cordon sécuritaire. Elles sont vite bloquées dans leur élan par des policiers antiémeutes, intransigeants. “Il n'y a rien à voir, laissez-nous faire notre boulot”, hurle un officier de police. Mais elles restent imperturbables. Elles veulent à tout prix vérifier de visu si leurs enfants, maris, frères et sœurs ou collègues ont été retirés de dessous les décombres. “Laissez-moi passer. Je travaille au HCR, j'étais à l'intérieur du siège lorsque la bombe a explosé. Ce n'est pas maintenant que je vais faire demi-tour”, s'impatiente une employée du Haut-Commissariat aux réfugiés. Elle envoie un employé de l'ONU qui était du bon côté du cordon pour faire intervenir le représentant du HCR afin de convaincre les policiers. Quelques minutes plus tard, M. Ghoul, responsable de cette institution, se présente au cordon de sécurité. “Laissez-la passer. Elle fait partie de notre équipe. Montre-leur ton badge !”, demande le représentant. D'un geste brusque, le policier repousse le représentant du HCR et lui répond : “Je n'ai d'ordre à recevoir de personne, elle ne rentre pas.” Le climat s'échauffe et les voix se lèvent. M. Ghoul s'emporte : “Je suis un responsable des Nations unies et ce sont mes éléments. On rentre ou bien appelez vos responsables !” Quelques minutes plus tard, un officier de police donne l'ordre de laisser passer toute personne portant le badge bleu de l'ONU. Une heure après, toujours aucune information. Les rumeurs vont bon train. “On m'a dit que la Protection civile vient de faire sortir une victime. Ça pourrait être ma belle-sœur. Elle travaillait au Pnud”, informe Nacim. “Non, il s'agit de deux jeunes hommes, mais on n'en sait pas plus”, réplique son voisin. Aucune personne ne peut vérifier ces données. C'est le black-out. Les parents des victimes font des va-et-vient, inquiets de n'avoir eu aucune nouvelle. Par désespoir, ils finissent par interroger les agents de police postés aux barrières qui se contentent de dire qu'ils ne sont au courant de rien. “De grâce, allez voir s'ils ont retiré Bentoubal, c'est mon frère. Dites-moi au moins si les recherches se poursuivent. Ils ont pu soulever les dalles…”, interrogent-ils. Un tas de questions auxquelles nul n'aura de réponse. Il est 11h. Le fils du défunt Akroun, retrouvé mort le jour même de l'attentat en compagnie de son épouse, s'approche de la barrière. Les yeux gonflés par les larmes, il vient s'enquérir de ses proches voisins. “L'enterrement des parents aura lieu au bled, je crois qu'on va démarrer cet après-midi. Courage ! J'espère qu'ils vont le retrouver vivant. Les recherches continuent toujours”, lance-t-il à son voisin. Une première information qui a apaisé les esprits des familles des victimes. La lassitude et le désarroi se lisent sur les visages. Le regard fixe, ils guettent le moindre mouvement de la Protection civile ou d'une personne qui a eu accès au site afin de leur apporter quelques bribes d'information. L'autre côté de la barrière Il est 14h. Après avoir passé une longue matinée, nous sommes, enfin, du bon côté de la barrière. Le quartier est toujours en ruine. Une fine pluie vient balayer l'air poussiéreux des décombres. Ici, il règne une ambiance électrique, chargée d'émotion. Les éléments de la Protection civile continuent les recherches au niveau du siège de l'ONU. On apprend que des victimes sont encore sous les décombres. “Nous avons pu retirer deux dalles, et il en reste encore une seule, puis nous pourrons atteindre les bureaux de l'étage inférieur”, répond un déblayeur. On apprend qu'il s'agit de la cabine des chauffeurs du Pnud. Selon la Protection civile, quatre à cinq personnes seraient bloquées encore sous les ruines. “Ce ne sont pas des informations exactes, mais on travaille selon les déclarations des familles. De toute façon, nous continuerons les recherches jusqu'à la fin”, ajoute notre interlocuteur. La dernière victime a été retirée hier matin vers 4h30. Il s'agit du jeune Sofiane. Selon les déclarations des sauveteurs recueillis sur les lieux, le jeune homme a été retrouvé aux environs de 23h, et ils n'ont pu le dégager que vers 4h30 du matin. “Dès que le jeune homme a vu une lueur, il a commencé à crier et bouger. Les secouristes l'ont calmé puis lui ont donné un masque à oxygène, ils n'ont pu le dégager qu'au petit matin. Il avait les jambes bloquées sous les ruines”, raconte un secouriste. Djamel Ould-Abbès, ministre de la Solidarité nationale, présent encore hier sur les lieux, annonce un bilan de 31 morts, quatre disparus et près de 200 blessés. “C'est indécent de parler en ce moment d'indemnisation et d'argent. Je veux simplement exprimer ma solidarité et ma compassion aux victimes. Aucune somme ne peut effacer leur douleur”, déclare le ministre. Il est 15h30, les éléments de la Sûreté nationale nous font quitter les lieux. Les recherches continuent et les familles désespèrent de retrouver leurs proches vivants. Nabila Afroun