Sarkozy relance la course aux armements dans le Maghreb. La France va retaper l'armée libyenne. On parle même d'axe Paris-Tripoli, avec la bénédiction de Washington ! Le voile sur le tapis rouge déployé sous les pieds de Kadhafi durant sa visite à Paris a été levé par un média proche de Dassault, le numéro un des fabricants d'armements français. Sarkozy aura fait passer toutes ses lubies au leader libyen, affrontant son opposition et même une partie de sa majorité, pour un carnet de commandes militaires qui assurera du travail pour 30 000 Français pendant cinq ans ! L'ardoise est faramineuse pour un petit pays et même si tout n'est pas tout à fait gagné pour les Français, puisque Kadhafi s'est donné six mois pour concrétiser toutes ses commandes. Ce qui est sûr, Kadhafi veut rattraper le temps perdu et, pourquoi pas, devenir une puissance militaire dans la région, voire dans le continent qu'il a toujours rêvé de mettre sous sa coupe. Les embargos qui visaient ses achats d'armes, celui de l'ONU et celui de l'UE, ont été levés respectivement en 2003 et en 2004, après que Tripoli ait fait acte d'allégeance à Washington en commençant par dénoncer sa propre politique révolutionnaire puis ses efforts pour se doter d'armes nucléaires et, enfin, en dédommageant les parents des victimes de crash d'avions au Tchad et en Grande-Bretagne explosés en plein vol par des Libyens. Pour Kadhafi, la reconstruction de son armée est aujourd'hui une priorité. Au-delà de la nécessité sécuritaire, c'est pour le leader libyen, insiste-t-on chez Dassault, une question de fierté régionale et continentale. Dans la région, la Libye se sentirait sous-armée ! À l'Ouest, les contrats signés par l'Algérie avec la Russie ont créé “un fort déséquilibre”, appuient le vendeur d'armes qui souligne également qu'à l'Est, l'Egypte bénéficie d'une importante aide militaire américaine. Des analystes français n'hésitent pas à parler d'“axe Paris-Tripoli”, en établissant un lien avec le futur déploiement deS forces militaires au Tchad, un joker dans la Françafrique. Il fallait à leurs yeux insérer Tripoli dans ce jeu. Le Figaro, qui a éventé l'accord militaire, a précisé que l'armée libyenne aura une vocation plus défensive qu'offensive avec, par exemple, la vente d'avions de chasse Rafale dans une version de défense aérienne plus que d'attaque au sol, a même mis en avant les missions assignées à l'armée libyenne rénovée : protection des frontières, lutte contre le terrorisme islamiste, contre l'immigration illégale et la protection des ressources énergétiques ou halieutiques. L'explication est destinée à rassurer autant les voisins de la Libye que le pourtour sud de l'Europe, l'Italie, la Grèce et Malte, traditionnels partenaires économiques et touristiques de Tripoli. L'armée libyenne avec ses 70 000 hommes a des capacités opérationnelles faibles, a plaidé le quotidien français proche de Dassault. Selon les accords rendus publics à Paris, la priorité est donnée aux forces aériennes et surtout à l'aviation de combat. Les Français, qui jurent que seuls quelques vieux Mig et Sukhoï volent encore et que les Mirage F1 français doivent être remis à niveau, vont fourguer à la Libye leurs chasseurs de dernière génération qui n'ont pas trouvé preneurs à l'étranger, même pas au Maroc, la pupille des yeux de la France au Maghreb, et dont le roi leur a préféré les F16 américains. D'où la vente de quatorze Rafale. Et comme cette armada a besoin de logistique au sol, la France pense aussi doter la Libye de tout le système de défense sol-air, radars et missiles. Paris a aussi intéressé son hôte à la modernisation de sa marine et compte lui vendre des corvettes et des patrouilleurs. Pour l'armée de terre, la France dit équiper les unités de Kadhafi qui pourront participer à des opérations de maintien de la paix en Afrique, d'où l'axe Paris-Tripoli. Mais la grande nouveauté est la création d'une “force spéciale”, qu'un des fils de Kadhafi, Saadi, est en train de mettre sur pied. C'est une armée d'élite au sein de l'armée, dotée des matériels les plus performants. Cette force spéciale, qui, dans un premier temps, devrait recevoir les nouveaux chasseurs Rafale, sera également dotée d'hélicoptères français Tigre.Sarkozy a d'autant plus déployé le tapis rouge sous les pieds de Kadhafi qu'il sait que ce dernier est courtisé dans sa course aux armements par les Britanniques, les Russes, les Italiens, les Espagnols et les Américains. La Grande-Bretagne a conclu un accord de coopération sur la défense assez similaire à celui que Sarkozy a signé cet été à Tripoli. Moscou qui n'avait pas hésité à prendre des libertés avec l'embargo, est assuré d'emporter quelques contrats : des avions, des missiles sol-air, des navires, voire un sous-marin de classe Kilo rénové. Des contrats devraient être signés lors d'une visite à Tripoli de Vladimir Poutine, avant son départ du Kremlin en mars 2008. Les Américains, eux, ont levé partiellement les sanctions militaires mais sont encore tenus par un embargo sur les “armes létales”. Celui-ci devra tomber incessamment, le ministre libyen des Affaires étrangères devant se rendre à Washington début 2008, à l'invitation de Condoleezza Rice. Bush fera probablement escale à Tripoli, lors de son prochain périple en Afrique, pour, dit-on, inaugurer sa fameuse base provisoirement installée en Allemagne. À côté de ces commandes militaires, s'ajoutent des commandes pour faire de la Libye “la Dubaï de la Méditerranée”. Un rêve que poursuit Seif el Islam, le plus en vue des enfants de Kadhafi et souvent présenté comme son successeur. D. Bouatta