Après avoir épuisé le sujet du terrorisme, un nouveau thème est en train d'intéresser de plus en plus les cinéastes et les réalisateurs algériens, celui des harragas ou immigration clandestine. Plus de quatre productions dont les plus importantes sont celles qui seront réalisées cette année par Djaâfar Gassem, l'auteur du feuilleton du Ramadhan 2007 Maouid maa el kadar, et Moussa Haddad, l'auteur de l'indétrônable Les vacances de l'inspecteur Tahar, qui consacreront leurs œuvres à ce fléau qui est en train de prendre de plus en plus d'ampleur sur nos côtes. Le nouveau film de Moussa Haddad sera une suite de Made in, qu'il avait réalisé en 1999 et qui avait relancé sa carrière après plusieurs années d'arrêt. Cet engouement pour ce nouveau thème obéit essentiellement à une volonté de coller à l'actualité médiatique, qui montre chaque jour des dizaines de candidats à l'exil qui traversent la Méditerranée dans des barques de fortune au détriment de leur vie. Le film le plus attendu demeure celui de Djaâfar Gassem qui attend toujours l'autorisation du ministère de la Culture et de la télévision nationale pour pouvoir commencer le tournage. En effet, après une expérience fructueuse dans le sit-com et dans le feuilleton, le réalisateur de Nass Mlah City, s'attaque à son premier long métrage et entend mettre le paquet. Ce n'est pas le cas de certains réalisateurs qui ont décidé de faire des films sur les harragas sans l'aide d'institutions gouvernementales. C'est le cas de Ahcen Touati, qui a réalisé un court métrage de 26 minutes sur le phénomène sobrement intitulé Harraga, et qui sera projeté le 21 janvier à la salle l'Algeria, juste après la fin de la manifestation d'“Alger, capitale de la culture arabe 2007”, qui avait refusé de valider son scénario. Mais ses films n'auront pas les mêmes conditions de travail que Tamanrasset, le dernier film de Merzak Allouache, qui ne s'intéresse pas aux harragas algériens mais aux “harragas africains”. Le sujet colle plus aux actualités internationales. En effet, les médias étrangers, notamment les français et les espagnols, n'ont jamais mis en exergue les tentatives parfois suicidaires des harragas algériens. Les images les plus souvent montrées sont celles de ces Africains qui atterrissent parfois dans un état lamentable sur les îles espagnoles ou italiennes. C'est cette image qui est demandée à Merzak Allouache de mettre en scène. Ainsi, après le bide de Babor Dzair qui a visiblement entaché sa carrière en Algérie, Merzak Allouache a décidé de fuir l'Algérie et de tourner son nouveau film produit par Arte au Maroc. Ces proches affirment que les autorités algériennes et surtout le ministère de la Culture ont refusé de lui accorder les autorisations nécessaires pour réaliser son œuvre. Le tournage de son film s'est achevé le 9 juillet dernier dans la région d'Erfoud, au sud du Maroc. Un seul comédien algérien jouera dans ce nouveau film, Hassen Benzerari. Tamanrasset raconte l'histoire invraisemblable d'une équipe française de production publicitaire, qui pose pied dans le Sahara algérien pour réaliser un reportage photos pour une nouvelle marque d'esquimaux glacés. Le réalisateur de la pub décide d'arrêter le reportage, abandonne ses mannequins et commence à s'intéresser aux clandestins africains, victimes des passeurs, qui rôdent dans la ville et sont même hébergés secrètement dans les caves de l'hôtel. Le film, qui est la deuxième commande d'Arte Fiction après Alger-Beyrouth, ne sortira pas dans les salles mais fera couler beaucoup d'encre à sa sortie sur le petit écran, surtout que le Maroc a toujours accusé l'Algérie de laisser passer des clandestins africains sur son territoire. Mais au-delà du concept du sujet qui est connu d'avance, le grand souci de ses réalisateurs c'est de trouver un scénario qui collera à la réalité et qui aura sa part de fiction. Dans les détails qui font “mouche” l'histoire de ce harrag qui a envoyé un message à ses parents dans une bouteille, est l'histoire qui attire le plus les réalisateurs. Les deux réalisateurs Moussa Haddad et Djaâfar Gassem se disputent les anecdotes et misent énormément sur les histoires racontées durant cet été par la presse arabophone, grande consommatrice de ce fléau. Mais au-delà du phénomène lui-même, le harraga a touché le cinéma indirectement il y a plusieurs années et surtout après, au début des violences en Algérie. En effet, les premiers touchés sont les comédiens locaux eux-mêmes. Certains comédiens qui avaient travaillé sur des films algériens sur des thèmes sensibles touchant à l'intégrisme et au terrorisme ont dû quitter le pays grâce à leur participation à des films produits par des pays européens. C'est le cas des comédiens principaux (deux hommes et une jeune femme) du film de Merzak Allouache Bab El Oued City, qui avaient profité de la participation du film à un festival en France pour obtenir un visa et fuir légalement le pays. Depuis, seulement un seul des trois comédiens est revenu en Algérie. Ayant réussi une carrière de comique en France, il a pu régulariser sa situation et participer souvent à des productions algéro françaises. Mais l'histoire la plus incroyable est celle du film Rouma wala ntouma de Tarek Teguia, qui raconte d'une manière noire et peu réaliste, l'histoire de Kamal et Zina, qui vont à la Madrague, dans la banlieue de la capitale, à la recherche de Bosco, un passeur censé fournir un faux passeport à Kamal. Celui-ci veut quitter l'Algérie pour l'Italie. Le comble de l'histoire est que les deux comédiens du film caressaient réellement ce rêve de “harraga” et ont pu partir légalement en Italie grâce à une invitation officielle pour participer à un festival. C'est la fiction qui est rejointe par la réalité. Désireux de poursuivre leur passion de cinéma et d'aventure, ainsi plusieurs comédiens et même figurants acceptent d'être sous-payés par les productions à condition d'obtenir une invitation, le “papier sésame” qui est rarement refusé par les services de visa des pays européens. Cela concerne également les artistes et chanteurs. Souad Massi, par exemple, qui chantait gratuitement pour le Croissant-Rouge algérien, n'était jamais partie en France. Ainsi après plusieurs refus, Souad Massi avait obtenu un visa professionnel pour participer à un concert de musique avec des chanteuses algériennes au Cabaret Sauvage à Paris. C'est là qu'elle est repérée par un producteur français qui lui propose un contrat qui changera le cours de sa vie. De nombreux artistes saisissent l'opportunité d'une entrée pour rester définitivement, clandestinement au début et légalement ensuite. À côté des hargate officielles et artistiques, il y a de vrais harragas qui utilisent de vrais moyens. Ainsi, lors de la venue d'équipes françaises pour tourner des films en Algérie, les productions françaises ont participé malgré elles à la fuite de jeunes algérois sur des bateaux à destination de Marseille. Ainsi des cas ont été signalés au port d'Alger lors du tournage du film Incha Allah dimanche, de Yamina Benguigui, et lors du tournage du film Il était une fois dans l'Oued, de Djamel Bensalah. Les deux réalisateurs ne s'en cachent pas puisqu'ils signalent l'incident dans le DVD de leur making-of. Repartir avec des équipes étrangères est une technique très prisée par les harragas et leurs artistes préférés sont les chanteurs, puisqu'ils se glissent souvent dans les caisses de matérielles sonos, comme ce fut le cas lors d'une tournée de Mami en 1999. Autant d'anecdotes pour que les harragas deviennent les héros principaux d'un livre, comme celui de Sensal, ou d'une pièce comme celle de Fellag, ou d'une chanson rap comme celle de Double Kanon. Les Harragas sont devenus plus que des phénomènes de société, mais des héros, victimes de leur destin et surtout de leur rêve impossible. AMIN REDA