“Que le bon Dieu te bénisse et te donne tout ce dont tu pourras rêver : la santé, la richesse, la beauté et un homme qui t'aimera d'un amour fou jusqu'à la fin de tes jours.” La mendiante s'empare fébrilement du billet de banque que lui tendait Samia avant de s'en aller clopin-clopant vers l'autre côté de la rue, tout en continuant à souhaiter longue vie, bonheur et autres vœux de réussite et de gloire. Samia sourit en repensant à la phrase “un homme qui t'aimera d'un amour fou…” Au volant de sa 206 flambant neuve, elle repensait pour la énième fois à son destin. Un destin qu'elle trouve parfois bizarre, d'autant plus qu'elle avait tout pour être heureuse. De sa mère, elle avait hérité la beauté, et de son père, la richesse. Lorsqu'elle a eu ses dix-huit ans, elle hérita de tous les bijoux de sa grand-mère paternelle, et pour ne pas rester à l'écart, son grand-oncle lui confia les clefs de son premier véhicule, une 205 blanche. De sa grand-mère maternelle, qui mourut à un âge précoce, elle ne garde qu'un vague souvenir. Un sourire et des yeux d'un bleu à faire pâlir les étoiles. Oui, elle se rappelle avoir aimé ce sourire rassurant et ces yeux pleins de douceur qui la contemplaient. - Ah ! que la vie est cruelle, soupire Samia. Elle se rappellera aussi la mort de sa génitrice alors qu'elle allait à peine sur ses cinq ans. Ce jour-là, il y avait plein de monde chez eux. Des gens qu'elle n'avait jamais vus, et qui l'embrassaient en sanglotant. D'autres lui caressaient les cheveux ou la serraient dans leurs bras, tandis que son père, effondré et soutenu par ses oncles, la regardait tristement, alors qu'elle courait se réfugier dans ses bras. Le souvenir ressurgissait de temps à autre dans ses rêves quand elle revoyait sa mère tout de blanc vêtue lui tendre un beau bouquet d'œillets. Le temps est passé. Son père s'est remarié. Elle avait vécu quelque temps avec sa marâtre avant de rejoindre sa grand-mère qui s'occupera de son éducation jusqu'à sa maturité. Douce et chaleureuse comme pas une, cette dernière avait largement remplacé l'affection de sa mère. Samia n'avait à aucun moment de son adolescence ressenti le vide affectif ou un quelconque autre besoin matériel. Son aïeule veillait à son confort et répondait à ses caprices. Hélas, elle mourra une année à peine après que Samia eut terminé ses études et s'apprêtait à se marier. Voilà encore une autre histoire. Sur cette autoroute de l'Est, qui s'étendait devant elle à perte de vue, Samia a senti un sentiment de nostalgie la submerger. Elle avait eu trop de chocs dans sa vie pour espérer un équilibre psychique harmonieux. Enfin, avec l'aide de ses amis et proches, elle avait pu remonter la pente après de multiples déceptions. Sur cette même autoroute, elle revoyait Lamine au volant et elle à ses côtés. Elle rentrait d'un voyage en Europe, et comme ils préparaient leur mariage, Lamine a tenu à venir l'attendre à l'aéroport pour l'accompagner chez elle. C'était l'époque où l'amour entrait en coup de vent dans sa vie. Un amour qui l'a submergé jusqu'à la racine de ses cheveux et dont elle garde, jusqu'à aujourd'hui, un goût d'amertume. Elle avait essayé d'oublier. Elle ira même jusqu'à tenter de mettre fin à ses jours pour avoir le répit éternel. Mais… rien. Absolument rien n'avait pu effacer ses malheurs. Elle vit. Elle travaille, elle voyage. Mais elle n'a jamais oublié. Y. H. (À suivre)