La paume de sa main droite profondément ouverte, le jeune homme, allongé sur la table de consultation est l'une des innombrables victimes des pétards en cette veille de Mouloud. Presque inconscient, il réagit à la douleur en criant chaque fois que l'un des médecins qui l'entourent tente de toucher la main blessée. Faut-il suturer à vif ou le monter au bloc opératoire ? C'est la question que se pose le staff médical. Âgé de vingt-quatre ans, ce jeune homme s'est gravement blessé en tentant d'allumer la mèche d'un gros pétard, communément appelé “bombe”. Il n'a pas eu le temps de jeter le pétard maudit qui, en explosant dans sa main, lui a causé cette grave blessure. Les médecins du service de traumatologie tiennent à rappeler que chaque année c'es la même chose : de nombreuses personnes sont victimes de ces jeux pyrotechniques. Un des praticiens de garde se plaint de la surcharge de travail et des énormes dépenses de santé induites par ces jeux maudits. “Nous venons de prendre en charge une jeune fille blessée à la main droite. Nous avons été contraints de l'amputer d'un bout de doigt. Il faut que les parents comprennent que ces jeux sont dangereux, et s'ils doivent fêter le Mouloud c'est dans la joie et l'allégresse et non dans les hôpitaux avec de graves blessures”, déclare un médecin. Toujours dans le même service, une vieille femme attend que les médecins en finissent avec le jeune pour la prendre en charge. Pour le moment elle est assise dans un autre box de consultation. La jambe en sang, elle fait des efforts pour rester stoïque malgré la douleur. “J'étais sortie au balcon pour récupérer mon tapis de prière, et un pétard lancé par des inconnus (sûrement des voisins) a explosé sous mon pied. Heureusement que ce jeune voisin a entendu mes cris, il est rentré chez moi et m'a emmenée à l'hôpital”, affirme-elle. Au service d'ophtalmologie, cette fois, le médecin de garde est en train de voir l'œil d'une “victime passive”, c'est ainsi que les médecins qualifient les personnes blessées par des objets pyrotechniques lancés par des inconnus. “Je parlais au téléphone, dans la rue quand un pétard m'a explosé en pleine figure”, se plaint le malade venu de Belfort. Le médecin de garde rappelle que leur équipe a été renforcée pour la circonstance. “Le service d'ophtalmologie de l'hôpital Mustapha reçoit chaque année des dizaines de blessés par engins pyrotechniques. Nous arrivons à soigner quelques-uns, mais dans certains cas des personnes ont perdu un œil. Je n'en ai pas encore rencontrées, mais nos professeurs nous ont informés sur des cas de perte d'œil après des dégâts provoqués par des pétards”, estime l'ophtalmologue de garde. Par contre, cette nuit, le service de chirurgie pédiatrique paraît calme, contrairement aux années précédentes où les enfants victimes de pétards venaient en grand nombre. À l'hôpital de Beni Messous, la garde est calme cette nuit aussi. À 21h lorsque nous arrivons au service d'otorhinolaryngologie (ORL), l'équipe de garde veillait surtout sur les malades hospitalisés. Le médecin de service affirme ne pas avoir eu à soigner encore ce genre de cas cette nuit. Même constat au service d'ophtalmologie où les malades ne se bousculent pas. Par contre, au service de chirurgie pédiatrique, toute l'équipe est mobilisée pour sauver la main d'un enfant de 8 ans accompagné de son oncle. Cette fois aussi c'est une “bombe pétard” qui est à l'origine des graves blessures de ce jeune enfant. L'oncle est dans tous ses états, craignant des complications. L'infirmier est occupé à panser la main blessée. Dans la salle d'attente, des parents qui attendent leur tour pour présenter leurs enfants aux médecins pour des maladies et non des accidents, commentent eux aussi les dangers que représentent les pétards. “L'Etat doit sanctionner les vendeurs de pétards, c'es le seul moyen de préserver nos enfants”, estime un père de famille. Son voisin est pour sa part d'un autre avis : “En me mariant, je m'estime capable de m'occuper de mes enfants et pour les préserver je n'attends pas que l'Etat le fasse pour moi. Les pétards sont interdits normalement, pourtant leur vente est tolérée. En ce qui me concerne, je n'achète que des bougies et aucun pétard.” Un autre homme intervient à son tour dans la discussion : “Vous n'achetez pas de pétards soit, mais pouvez-vous pour autant préserver vos enfants des individus qui lancent des fusées sur des gens et ce, en pleine rue, sans qu'aucune autorité intervienne. Mon cousin a failli mourir l'année passée, il était dans sa voiture et des jeunes lui ont jeté un gros pétard. Il a perdu le contrôle de sa voiture, et il s'est retrouvé avec une jambe cassée et un œil gravement blessé. Les individus qui ont fait cela aurait dû être recherchés et poursuivis en justice pour tentative de meurtre. Non, les autorités doivent intervenir de manière énergique”, conclut-il. À l'hôpital Lamine-Debaghine, les urgences médicochirurgicales sont prises d'assaut à notre arrivée, à 22h, par des malades, mais nous ne rencontrons aucune victime de pétards. Un responsable de l'hôpital nous informe que quatre cas se sont présentés déjà pour des brûlures causées par des pétards et ils ont été tous envoyés à la clinique Pasteur spécialisée en la matière. Comme par hasard, l'ophtalmologue de garde cette nuit se trouve être le parent d'une victime d'un pétard. “Mon cousin a dû être hospitalisé durant plusieurs jours dans le service d'ophtalmologie. Il marchait dans la rue à Djemaâ Lihoud quand il reçut un gros pétard en plein visage, et dire que cela s'est passé plus d'une semaine avant le Mouloud. Nous espérons pouvoir lui sauver son œil, mais c'est du gâchis”, affirme le médecin de garde. De l'avis des praticiens durant cette période de Mouloud, il n'y a pas eu beaucoup de blessés, car les Algériens ont utilisé moins d'engins pyrotechniques que lors des précédentes années. La crise économique qui étouffe ces derniers mois les ménages, interdit tout excès. N'arrivant plus à joindre les deux bouts, les parents préfèrent acheter les produits de première nécessité dont les prix ont enregistré des hausses vertigineuses. “Je me rends compte aujourd'hui que durant des années j'ai été un mauvais gestionnaire. L'année passée, j'avais déboursé 8 000 DA en pétards. J'avoue que c'était de la folie. Cette année, j'ai acheté quelques bougies car mes moyens ne me permettent plus de vivre comme avant”, résume un père de famille. Par ailleurs, les grosses saisies de conteneurs entiers de pétards, par les services de police, ont eu pour effet immédiat une demande moins importante que les années précédentes. Pour compenser les pertes inhérentes aux saisies enregistrées, ceux qui introduisent les pétards de manière clandestine, ont été obligés d'augmenter les prix pour amortir les frais qu'ils ont engagés. Par ailleurs et selon des sources médicales, les engins pyrotechniques, qui entrent en Algérie, sont fabriqués de manière anarchique et sans respecter aucune norme, ce qui accroît leur dangerosité. De l'avis général, les parents et les pouvoirs publics doivent jouer leurs rôles respectifs pour éviter de graves blessures qui grèvent le budget de l'Etat de sommes colossales en soins et en médicaments pour la prise en charge des victimes. Si l'Etat veut permettre l'usage des pétards, il doit imposer des règles aux importateurs en matière de normes pour éviter la mise sur le marché d'engins pyrotechniques dangereux car non contrôlés. S. I.