Au bout de 2 jours d'émeutes le bilan est lourd, trois cinémas, trois banques et la Cnep de la cité Lescure détruits, deux secteurs urbains (El-Hamri et Petit-Lac) saccagés, 70 blessés parmi les forces de sécurité et plus de 150 arrestations. La psychose a gagné Oran ces dernières 48 heures à cause d'un match de football qui a condamné le club local à la relégation. Alors que beaucoup s'attendaient à une réaction excessive des supporters du MCO aux premières heures de la déception, les débordements enregistrés un peu partout en ville ont été disproportionnés par rapport à l'événement. De l'avis unanime, ce qui s'est passé, lundi dernier dans différents quartiers de la cité, renseigne sur l'état de déliquescence de la société obnubilée par le futile et passant complètement à côté de l'essentiel. À la vue des dégâts causés dans la rue d'Arzew, un respectable grand-père n'a pu s'empêcher de lâcher un juron entre ses dents. “Au lieu de gueuler pour leur ventre, ils cassent tout pour un ballon en chiffon. C'est pas malheureux ça !” pour s'en aller ensuite, la tête dans les épaules. La consternation était visible sur tous les visages. Fatalistes, en colère, résignés ou tout simplement indifférents, les gens ne cessaient, hier, de commenter avec amertume les incidents de la veille en prêtant attention aux nouvelles inquiétantes en provenance de M'dina J'dida, Hamri, Mediouni ou du centre-ville qui font état de la reprise de la casse. Plus que de simples rumeurs, la ville a renoué, hier, avec la violence urbaine lorsque des bandes organisées ont jeté l'effroi parmi les citoyens à la Ville-Nouvelle. Des jets de pierres contre les forces antiémeutes ont émaillé le quotidien du très fréquenté quartier populaire pour plonger davantage la ville dans le doute. “Ce qui s'est passé, lundi, n'a rien à voir avec le football, et c'est malheureux pour Oran”, déplore Mohamed El-Moro, président de l'autre club de la ville, l'ASMO. Pour lui, une solution globale doit être trouvée pour remédier à la situation, d'autant plus que jeudi prochain, la dernière journée de la deuxième division s'annonce des “plus houleuses”. Quant aux événements proprement dits, ils ont éclaté quelques instants après le coup de sifflet final de l'arbitre du match qui a opposé le MCO à l'ASO à Chlef. Pour les plus avertis, ceux qui ont senti le coup venir ont baissé rideau dès la mi-temps. Le transport public a déserté les rues en perspective d'une fin d'après-midi chaude. Mais ce qui s'est passé a dépassé les prévisions les plus pessimistes avec le saccage d'édifices publics et de biens privés malgré la présence des forces de sécurité dépêchées pour éviter tout débordement. Les feux tricolores aveuglés, les cabines téléphoniques éventrées, des pneus brûlés en guise de barricade et des pierres comme projectile. Le décor a été planté pour une nuit embrasée. Le siège de l'Echo d'Oran, à El-Barki, abritant trois autres titres appartenant au président du MCO, a échappé de peu à un saccage en règle grâce à l'intervention des uniformes bleus qui ont arrêté une vingtaine d'assaillants, selon des témoins oculaires. L'attaque s'est déroulée vers 20h30 et toutes les vitres du bâtiment de trois étages ont volé en éclats. La ville, quant à elle, reste quadrillée et les véhicules des forces antiémeutes sont en faction dans les carrefours stratégiques de la ville. Hier, aux premières heures de la matinée, les stigmates des échauffourées de la veille étaient visibles comme pour rappeler la colère des manifestants, pour la plupart des jeunes sous l'effet de psychotropes. Les magasins ont décidé de fermer et le bouche à oreille est entré en action pour émettre des bulletins d'alerte. “Le centre-ville est fermé, il faut faire attention !” prévient son collègue, le chauffeur du bus de la ligne 22. “L'hôpital a été attaqué”, reprend Slimane, fonctionnaire, qui vient d'avoir l'info au téléphone. L'ambiance toute tendue est aggravée par la reprise des violences. La rue d'Arzew, bouclée par les forces de sécurité, restait à 13h en proie à des actes de vandalisme qui ont ciblé les véhicules de particuliers pris au piège et faisant des victimes parmi la population. Avec des relents d'octobre 1988, la ville se surprend à avoir peur des heures qui viennent, alors que les examens de 6e obligent les gens à sortir de chez eux. “C'est inadmissible ce qui se passe à Oran”, peste Nourredine qui prédit une journée longue, très longue. Saïd Oussad