Ceux qui ont pris connaissance du discours prononcé par le chef de l'Etat devant les maires, les représentants de l'administration décentralisée, les membres du gouvernement et d'autres représentants d'institutions, se posent peut-être encore la question : et maintenant ? En le voyant, dès le lendemain, inaugurer, aux pas de course, des “réalisations”, dont une “plus grande d'Afrique”, comme on aime à le préciser, la plupart oublièrent le constat d'échec présidentiel de la veille. “Nous sommes dans un étrange pays.” Bouteflika nous l'a rappelé. Ce bilan de faillite, il ne l'a dressé que pour annoncer qu'il nous faut changer d'orientation. Il a clairement énoncé qu'il “n'incrimine aucune catégorie ni personne en particulier”. Pour qu'aucun ni aucun groupe ne se sentent individuellement responsable du fiasco, il a indiqué qu'il s'agit d'une “autocritique”. L'autocritique semble, ici, figurer une espèce de bilan désincarné, sans auteur. Politiquement, ce discours ne fera donc pas date. Il s'agit d'une simple annonce de mesures visant à éviter que sous prétexte d'investissements ne prolifèrent des “compagnies privées parasites” et à sévir contre “ceux qui jouent avec l'argent de l'Etat et avec l'argent public”. Mais là, le Président se montre excédé par la suspicion populaire qui entoure les fonctions de responsabilité et appelle les Algériens à “arrêter d'accuser tout le monde de voleur”, parce que “cela ne fera pas avancer le pays”, mais aussi parce que “si l'on commençait à parler de voleurs, tous les Algériens, sauf exception, ont volé”. Le discours semble construit pour révéler l'échec et dénoncer la dilapidation sans que personne ne s'en sente incriminé en particulier. D'ailleurs, le Président a usé d'une formule heureuse, exprimant bien de cette sorte contingence de l'échec : “Nous avons trébuché ; nous nous sommes cassé le nez.” Il ne reste alors qu'à reprendre notre marche en faisant plus attention. Jusqu'ici, la réussite était devant nous ; désormais, l'échec est derrière nous. Ce discours voulait faire date en termes de gestion de l'économie et des finances, sans imposer la moindre évolution politique. Mais pourquoi alors le Président a-t-il voulu rompre avec une culture discursive dans un contexte aplati où la critique n'a plus que le statut de marginale subversion, où l'opposition politique est réduite à une existence végétative, où la presse est revenue à une conduite plus “responsable” et où même les instruments institutionnels d'évaluation, comme le Cnes, ont été neutralisés ? Les déclarations officielles proclamant que “la paix est revenue”, que “l'investissement est relancé”, que “le niveau de vie des citoyens s'améliore” ne sont, en effet, pas trop contrariées. Ce contre-pied fait au discours courtisan n'altérera certainement pas l'enthousiasme conservateur : il n'est pas dans la culture nationale de lier la légitimité politique à l'efficacité d'une gouvernance. Dans une vie publique faite de clientélisme et de carriérisme, cela ne gêne pas de participer à une gestion qui échoue. Etrange pays, en effet, où, comme la critique, l'autocritique, réduite à un exercice qui s'autosuffit, est sans effet. M. H. [email protected]