Il y a un côté amusant et symbolique dans ce contretemps. L'autorail qui devait faire son premier voyage Alger-Chlef, avant-hier, avec à son bord le ministre des Transports, n'a pas démarré. On l'imagine, immobile, dans cette gare qu'il ne veut plus quitter, sous le regard interloqué des passagers invités, puis décommandés au son de ce message en boucle : “La desserte inaugurale est annulée pour des raisons opérationnelles.” Un train qui n'est plus opérationnel pour des raisons opérationnelles ! Le type même de messages conçus pour cacher l'information qu'ils sont supposés nous livrer. On ignore si c'est la machine qui a refusé de se mettre en mouvement. Mais elle aurait bien raison : l'autorail est un moyen de transport du passé, et il sait qu'on veut le faire mentir quand on lui prête des prétentions de vitesse et de confort ! L'Algérie en était revenue de l'autorail et voilà qu'on l'y renvoie ! Qui ne se souvient pas de ces sympathiques autorails qu'on appelait, par erreur, “Micheline” (la micheline est un autorail à roue pneumatique) qui rendaient tant de services au temps où le train, en général, remplissait un vrai service public de ramassage de voyageurs à travers le pays profond ? Le premier autorail Bugatti (appelé donc Micheline pour sa version à roues pneumatisées) a roulé en ligne régulière (Paris-Deauville)… en 1933 à une vitesse moyenne de 116 kilomètres à l'heure et une pointe en essai de 172 kilomètres. Aujourd'hui, en Europe de l'Ouest, l'autorail ne sert presque plus qu'à animer des circuits touristiques. Peut-on alors, en 2008, nous présenter l'inauguration d'un autorail Alger-Chlef à vitesse moyenne de 160 kilomètres/heure comme un progrès des transports nationaux ? Quarante kilomètres de plus en soixante-quinze ans ! Dans les années 1950, l'autorail de Dietrich (ou peut-être Renault) Alger-Oran roulait à 130 km/h. Il est difficile de croire, à l'époque du turbotrain et du TGV, que l'autorail constitue, à proprement parler, un progrès pour le transport des voyageurs. Pas seulement pour sa vitesse, finalement réduite, s'agissant de rail. Mais par le type de motorisation, aussi. Les premiers autorails étaient mus par des moteurs internes (d'où auto-rail) à essence. Aujourd'hui, et notamment ceux commandés par la SNTF, sont dotés de moteurs diesel. Au moment où l'on sanctionne, par des taxes, les amateurs d'automobile à gasoil, les opérateurs publics investissent dans des machines diesel autrement plus gourmandes que des véhicules de tourisme. Le rail, comme tous les services publics et tous les secteurs de développement durable, a été le parent pauvre de l'investissement national. On ne peut pas rattraper le retard en retournant aux vieilleries, mais en prenant le train à la gare où il se trouve. Le progrès et l'écologie du transport par rail sont dans la locomotive électrique. Après avoir entamé l'électrification de quelques dizaines de kilomètres de voies ferrées, l'on recommence à s'approvisionner en trains à moteurs thermiques, cela ne reviendrait-il pas à faire “un pas en avant, deux pas en arrière” ? Malgré la nostalgie de la bonne vieille ZZN des années 60 et suivantes, nous soutenons l'immobile protestation de l'autorail qui refuse au jeu qui consiste à reculer en faisant mine d'avancer. M. H. [email protected]