Un tourisme durable est celui qui fait admettre aux populations des régions concernées qu'elles seront les premières à bénéficier de ses retombées économiques, sociales, cultuelles et environnementales. Sans cela, tout hôtel, tout campement, pour ne pas dire tout touriste ou estivant sera considéré comme corps étranger à rejeter avec violence. Avant-hier, la population de la paisible et chaleureuse localité de Chetaïbi s'est lancée, durant toute la journée, dans une véritable chasse aux estivants. Après avoir investi les plages, les rues et les alentours du siège de la mairie et de la brigade de la Gendarmerie nationale, toute une population d'émeutiers a poussé des milliers d'estivants et de touristes à quitter, souvent dans la violence, le territoire de la commune. “Nous ne voulons pas de ce tourisme chez nous !” est le seul slogan qui fusait de toutes les bouches. Il fallait être sur place, au moment des faits, pour voir ces colonnes d'estivants ou de touristes algériens… déportés de leur plage préférée par cette même population qui, la veille, les accueillait à bras ouverts pour saisir l'ampleur du drame. Une journée avant, soit dimanche, juste après un accident de la circulation qui a fait deux victimes sur la route de Taza, les villageois bloqueront la route qui relie les deux plus belles plages de la région à celle de Jijel et de Béjaïa pendant toute une demi-journée. Les 4 kilomètres de bouchons, les images d'enfants en bas âge au bord de la déshydratation, les traits d'épuisement des personnes âgées venues de loin se délasser ne viendront pas à bout d'une colère d'une meute de Jijelis pour qui le choix a été fait. “Pas de ce tourisme qui cause la mort et la désolation !” Pourtant, Taza, avec son parc animalier des plus visités d'Algérie, son emplacement bien situé entre les plages de Jijel et de Ziama Mansouriah, ainsi que sa proximité avec l'autre destination très prisée qu'est Béjaïa, ne devrait théoriquement que sourire aux touristes algériens. Moins de cinq jours avant, soit mercredi dernier, une semaine jour pour jour, la population de Sidi-Aïssa, animée par une haine entretenue contre la chose hôtelière dans la région, mettra le feu à un hôtel et lynchera à mort son propriétaire pour se venger d'un acte commis auparavant par le fils de la victime ayant entraîné mort d'homme. Là encore, la bonté et la générosité des Ouled Naïl étaient jusque-là incompatibles avec ce genre de dérapages. Quelques semaines auparavant, la population de l'un des premiers villages touristiques algériens pour ne pas dire d'Afrique du Nord, Tichy en l'occurrence, sortira dans la rue pour protester contre le phénomène de violence et d'atteinte aux valeurs culturelles à cause… de l'activité touristique. Les protestataires ont dénoncé le rôle néfaste que jouent les établissements hôteliers de la côte dans la dégradation des mœurs. Ainsi, à la place de l'influence record des touristes algériens sur les traditionnelles destinations algériennes, on assiste à l'accentuation du phénomène du rejet par les autochtones des touristes venus d'ailleurs. Le cas de Chetaïbi à Annaba est des plus édifiants. La cité balnéaire est devenue un véritable pôle d'attraction faisant concurrence avec la destination tunisienne. Plusieurs familles, habituées à se rendre en Tunisie, ont fini par louer des maisons dans la localité pour profiter des meilleures conditions de la beauté des sept plages. Chose devenue possible non pas grâce à un quelconque effort des pouvoirs publics, mais grâce au génie des autochtones qui ont vite adapté les formules d'hébergement pour répondre à la forte demande d'estivants. La question est de savoir pourquoi ces populations qui ne rataient, auparavant, aucune occasion pour demander des programmes spéciaux de développement touristique de leurs régions se retrouvent, aujourd'hui, les premiers à rejeter cette activité. Si ce comportement violent est adopté envers des touristes algériens, qu'on est-il des touristes étrangers, occidentaux de surcroît, si la colère d'un jour coïncidera avec une quelconque escalade au Proche-Orient ? Faire la promotion d'une destination ne se limite pas à lancer un slogan ô combien beau ! La publicité est le dernier élément de toute une politique marketing fiable qui doit reposer sur 3 autres facteurs. ` Une démarche saine doit prendre en considération quatre politiques saines. Celle de la qualité du produit, celle du prix, celle du circuit de distribution et, enfin et en dernier, celle de la communication. C'est que les spécialiste définissent par le “Marketing Mix”. Or, pour les pouvoirs publics, jusqu'ici, le marketing dans le secteur du tourisme consiste à passer une pub dans les médias lourds ou à concevoir un film, autrement dit à apprendre des concepts et les utiliser à chaque occasion. Ce genre de traitement de la question risque d'aboutir sur des résultats à l'inverse de ceux escomptés. Au moment où les pouvoirs publics évoquent le choix d'un développement durable par le tourisme, sur le terrain, les populations autochtones rejettent l'activité en question comme tout corps sain qui refoule un autre étranger qui vient s'y greffer. Le phénomène n'est pas nouveau. Tous les spécialistes du tourisme l'ont étudié à l'université dans le module de la sociologie du tourisme. L'expérience du Roussillon-Languedoc est enseignée dans toutes les grandes écoles. Mieux, l'architecte Pouillon, quand il a conçu les complexes balnéaires algériens dans les années 1970, a pris en considération cette variante sociale. Ce n'est certainement pas par fantaisie que la clôture desdits complexes est légère pour ne pas dire sommaire. L'idée de départ était d'éviter de donner l'impression que ces complexes, avec des touristes étrangers dedans faisant la fête, ne soit conçue par les autochtones comme des corps étrangers, enfermés sur eux et méprisant du reste. ? ce jour, ces concepts ont disparu du paysage touristique. Pis, les réunions de préparation consacrées à la préparation des saisons estivales se font en catimini entres des responsables locaux avides de détourner terrains et chalets touristiques que de faire participer la société à la gestion de la chose. Un tourisme capable de faire bouillir la soupe du petit peuple au lieu de brûler leurs demeures, comme disait le défunt expert franco-algérien N. Machabey. Les cas de Chetaïbi, Taza, M'sila, Tichy et avant cela Collo sont une menace sérieuse contre l'ordre public et peut devenir un frein contre tous les efforts de relance touristique. On doit cesser de parler des imaginaires 5 millions de touristes qui ont visité Annaba et les 3 autres qui ont séjourné à Collo, alors que la situation sur le terrain est toute autre. Mourad KEZZAR