Soucieuses de vivre pleinement leur époque, les clientes, qui arpentent “Zenqet Essayaghine” (la rue des bijoutiers) du marché de M'dina J'dida à Oran, partent quasi systématiquement à l'assaut des nouveaux modèles de bijou. C'est que la tendance (la mode ?) est de ne plus tenir à garder jalousement, envers et contre tous, ses bagues, chaînes et autres pendentifs en or, contrairement à ce que faisaient autrefois les parents et les grands-parents. “C'est un comportement tout à fait nouveau”, confirme un bijoutier installé depuis plus de trente ans dans cette place forte de la joaillerie. Elles sont, en effet, nombreuses les Oranaises, témoigne-t-il, à vouloir changer de bijoux tous les six mois, tous les ans tout au plus, et tant pis pour l'ancienne tradition qui veut que tout objet en métal précieux soit impérativement légué en héritage aux générations féminines suivantes. C'est que l'or, dans la mémoire collective des Algériens, est une nécessité sociale qui permet de faire face éventuellement aux aléas de la vie, comme le dit le vieil adage “Lehdayed lechdayyed” (Des anneaux d'or pour les temps durs). Aujourd'hui, troquer un bijou contre un nouveau modèle est devenu le “sport” favori de beaucoup d'Oranaises, qui aiment à exhiber ces accessoires de beauté renouvelés lors des fêtes et autres rencontres familiales. “Le développement du troc aux dépens de l'achat est, tout simplement, la conséquence de la flambée des prix de tout ce qui relève du monde de la joaillerie, où le gramme d'or s'échange à au moins 3 000 dinars”, se désole un autre bijoutier. Cette situation a conduit certains joailliers à encourager eux-mêmes les adeptes du métal jaune à troquer leurs anciens modèles contre des modèles plus récents, souvent de qualité et de poids moindres. C'est ce qui a conduit à la disparition chez certaines familles oranaises de modèles ancestraux, connus et réputés, à l'instar du “cravache”, “ezzerouf”, “el-meskia” ou encore la “khamsa”, échangés contre des bijoux frappés de motifs dits “modernes” représentant des artistes moyen-orientaux ou des mots ou noms en vogue, mais si peu instructifs comme “Titanic”. Dans cet esprit, un marchand du coin croit savoir que certaines clientes dépensent chaque année entre 10 000 et 20 000 DA dans le troc de bijoux. “Elles font ainsi d'une pierre deux coups. Au lieu de payer très cher un nouveau modèle, elles peuvent l'avoir en l'échangeant contre un ancien, quitte parfois à ajouter un peu d'argent”, explique-t-il. Inévitablement, cette fièvre du troc a favorisé l'apparition d'un grand nombre de petits ateliers et de petites échoppes d'artisans bijoutiers, dans beaucoup de quartiers et dans les nouveaux centres urbains. Ces artisans sont passés maîtres dans l'imitation de nouveaux modèles apparus en Europe ou ceux découverts en feuilletant les revues de mode, en surfant sur Internet, ou en zappant à travers les chaînes satellitaires arabes. Leur savoir-faire a, en tout cas, dopé l'industrie de la bijouterie à Oran, au point où les modèles qu'ils fabriquent n'ont, en apparence, rien à envier à ceux sortis des ateliers des grands maîtres d'Europe et d'Orient, se félicitent de bonnes dames, heureuses abonnées à “Zenqet Essayaghine”. Chaque jour, ces "artistes" aux mains... d'or, s'attellent dans leurs ateliers, à fondre les anciens bijoux, récupérer le métal précieux pour en faire des objets alliant la touche moderne à la finesse recherchée du produit final. L'apparition en force du troc a permis aussi l'intrusion dans le paysage de la ville d'un grand nombre de bijoutiers ambulants qui achètent les anciens modèles, les échangent contre des nouveaux, ou font fondre l'or récupéré pour produire des bijoux très demandés par les amateurs. Ce véritable marché parallèle de l'or attire des clients de plusieurs régions du pays et même de l'étranger, selon les témoignages, ce qui a conduit la direction des impôts d'Oran à rappeler la population à la vigilance lorsqu'il s'agit de s'approvisionner sur le marché parallèle de l'or, où “95% des produits ne sont pas poinçonnés”. A. Boukarine