En dépit de la tragédie qui a frappé l'Algérie, le népotisme prime. Sept jours après le séisme de mercredi dernier, la population de Boumerdès, meurtrie et endeuillée par la perte des siens, ensevelis sous des tonnes de béton, continue vaillamment à “secourir” les pouvoirs publics. Un employé de la wilaya nous a assurés que la solidarité est en train de profiter aux cadres et autres fonctionnaires de l'Etat, à l'abri du besoin. “Des directeurs de l'Exécutif mangent des sandwiches ramenés par des âmes charitables. C'est la population qui est en train d'aider les pouvoirs publics en venant au secours des sinistrés”, s'indigne cet employé qui n'arrive pas à cacher sa colère. Les témoignages recueillis avant-hier, sur les lieux de la catastrophe, notamment au niveau des maisonnettes en bâche implantées à proximité des Coopératives (1 200-Logements), attestent que ce sont encore des âmes charitables qui sont de jour comme de nuit au chevet des sinistrés toujours sous le choc et profondément traumatisés. Un rescapé en compagnie de ses enfants, non loin de haï 11-Décembre à l'entrée de la ville, nous prend à témoins pour se plaindre que beaucoup de familles “moisissent” sous des tentes de fortune, livrées à elles-mêmes. “On survit dans un enfer qui dépasse toute magnitude sur l'échelle de Richter. La tente que nous avons installée ici est occupée par 5 familles. Elle nous a été offerte par un citoyen. A chaque fois que je sollicite des responsables de la wilaya ou de l'APC, la réponse est toujours la même : patientez, on va venir pour installer des tentes. Cela dure malheureusement depuis jeudi”, s'écrie Ahmed, relogé momentanément au niveau du pont qui fait face à haï El-Azhar, abritant les survivants des Coopératives. Sa voisine Zohra enchaîne pour décrier l'irresponsabilité des responsables concernés : “Les bougies qui éclairent nos gourbis confectionnés de draps, dès la tombée de la nuit, ont été amenées par d'aimables citoyens. Du côté des officiels, que des promesses. Mais on n'a rien vu arriver de leur part”. Du côté des 1 200-Logements, il ne reste que des gravats encore visibles de la place du marché. Les rescapés, que nous avons rencontrés dimanche, ne réalisent pas encore ce qui s'est passé en ce sinistre mercredi. Les opérations de recherche de corps se poursuivent au niveau de cette cité. Les sapeurs-pompiers, soutenus par des militaires, s'emploient inlassablement avec leurs outils à rechercher d'éventuels corps. Au niveau du bâtiment 39, une âme est encore sous les décombres. Les sauveteurs russes concluent à la faveur d'un appareil de détection Orbiphone, “l'inhumation” d'un homme sous les ruines. Une odeur de putréfaction se répand dans l'air. Ne semblant guère être incommodés, des volontaires étaient de la partie. Notre arrivée sur les lieux a coïncidé avec la pause des sauveteurs sud-africains. Ils étaient en opération tôt le matin. Pas loin du bâtiment 39, derrière les bâtisses qui ont résisté au cataclysme, mais qui sont désertées par leurs propriétaires, des familles rescapées sont installées sous des tentes. Au niveau de cette cité, les maisonnettes en bâche sont attribuées en fonction du statut social du père de famille avant le terrible séisme de mercredi. “Pour se procurer une tente, il faut du piston et des interventions solides. J'ai assisté en direct au siège de sonatrach, où des coups de fil ne cessent de retentir durant toute la réunion des comités de quartier organisée à cet effet . De hauts placés appellent et réservent des quotas de tentes”, s'indigne M. Saïdoun, ex-arbitre international de volley-ball. Son désormais ex-voisin de palier dans l'immeuble dont les premiers étages sont engloutis, fulmine : “Je passe la nuit dans la voiture pour surveiller mes meubles et autres objets sauvés, puisque dès la tombée de la nuit, la cité pullule de pillards. Il n'y a guère de sécurité.” D'autres riverains signalent qu'une tente de police est implantée au niveau des 1 200- Logements. La sécurité des biens est assurée par les rescapés eux-mêmes. Pourtant, les “faiseurs du discours” officiel clament haut et fort que les sinistrés sont pris en charge sur tous les plans. Au siège de la wilaya, le responsable de la cellule de crise nous confie que ses services ont recensé 2 700 familles sinistrées au niveau de la commune de Boumerdès et 22 075 à l'échelle de toute la wilaya. Pour s'en laver les mains, si carence il y a, il affirme tout de go : “La distribution des tentes et autres aides relève des compétences des APC. Nous avons réceptionné jusqu'à dimanche près de 3 000 tentes, dont 1 988 ont été déjà installées. Le reste est en cours.” Du côté de la place dite du Marché, le colonel de la Protection civile, M. Debiche, assure au coordonnateur du bureau onusien d'Alger, M. Paolo Lembo, qui était sur les lieux dimanche, que 3 000 tentes ont été reçues. Et d'ajouter : “Chaque tente devra accueillir une famille de 7 personnes.” Cette version officielle avancée au représentant de l'ONU est démentie par la réalité du terrain. Les sinistrés souffrent le martyre. Ils doivent leur survie au formidable élan de solidarité. Sur notre route, des convois humanitaires portant une pancarte “Thadhamoun” se succèdent l'un après l'autre en direction des communes sinistrées. Entre-temps, la recherche des corps se poursuit. L'équipe du colonel Sayeh de la Protection civile s'affaire à extirper deux corps ensevelis sous les dalles des immeubles de Coopératives effondrés comme un château de cartes. Les sapeurspompiers devaient retirer un militaire et son enfant. Un proche de ce militaire, sur les lieux depuis jeudi, nous confie qu'il attendait le corps de la victime pour aller l'enterrer dans son village natal à Mostaganem. Pour que le travail de deuil puisse commencer... R. H.