Brahim, Adam et Ismaïl sont des Africains subsahariens qui vivent à Alger. L'un est liftier dans un immeuble, le deuxième est cordonnier et le troisième travaille dans le secteur du bâtiment. Brahim, Adam et Ismaïl sont des Africains subsahariens qui vivent à Alger. L'un est liftier dans un immeuble, le deuxième est cordonnier et le troisième travaille dans le secteur du bâtiment. La caméra de Hassen Ferhani et de Nabil Djedouani a filmé ces trois personnages et nous invite à découvrir leurs mondes singuliers et inconnus. «Afric hotel» montre, dit et suggère. Il parle à notre sensibilité, nous incitant à appréhender l'Autre, comme notre semblable. C'est-à-dire un être humain à part entière. La Nouvelle République : «Afric Hotel» met en scène trois migrants d'Afrique subsaharienne vivant à Alger. Comment est née l'idée de ce film documentaire ? Hassen Ferhani : «Afric Hotel» a été réalisé avec Nabil Djedouani. Il est autoproduit et a été sélectionné dans le cadre de plusieurs festivals en Europe dont Visions du réel en Suisse. L'idée de départ est la suivante. Alors que le festival panafricain se préparait à Alger, nous avons pensé filmer, d'une part, les festivités et, d'autre part, la vie quotidienne des Africains vivant à Alger. Ce festival prône l'amitié et le brassage des peuples et des cultures. A partir de ces grands principes, il nous a semblé important de sonder les Africains qui ne participaient pas aux festivités. Pendant un mois, nous avons filmé les parades, pièces de théâtre, tables rondes, concerts... et nous avons passé beaucoup de temps avec un groupe d'Africains d'Alger. Au début, nous avions projeté de filmer au moins une dizaine de personnes. Puis nous avons gardé les profils les plus intéressants. C'est ainsi que le nombre s'est réduit aux trois personnages qui figurent dans le film. A quel moment votre projet a-t-il changé d'orientation ? Nous avons fait au moins cinquante heures de rush et au moment du visionnage, nous nous sommes rendus compte que la partie consacrée aux migrants était plus intéressante. Et ce qui était encore plus étonnant, c'est qu'ils n'avaient manifesté aucun intérêt pour le festival. Ces individus ont migré pour des raisons économiques. Le travail est un élément central dans leur existence. Le loisir occupe une place secondaire dans leur quotidien. C'est à ce moment que le projet a changé pour devenir un film réalisé «avec» et non «sur» le festival panafricain et les Africains migrants qui vivent à Alger. Nous avons adopté une démarche participative et passé beaucoup de temps en leur compagnie. Nous avons tissé des liens d'amitié et instauré une relation basée sur une confiance mutuelle en leur exposant notre projet, nos objectifs et notre démarche. Et il était important qu'ils sachent que ce documentaire était autoproduit. La caméra suit les personnages. Elle est centrée sur leurs mouvements, mais ils ne parlent pas de leurs conditions de vie et de leur statut de migrants. Est-ce une démarche volontaire ? Notre intention n'était pas de savoir d'où ils venaient ni ce qu'ils faisaient à Alger. Nous avons passé beaucoup de temps avec eux dans le but de connaître ces migrants qui viennent d'ailleurs, là où les coutumes, la manière de penser, les langues et bien d'autres éléments culturels sont différents de ceux du pays où ils vivent. Nous voulions partager des moments de vie et une expérience avec ces individus. Nous les avons filmés dans leur environnement quotidien, sur leurs lieux de travail : l'ascenseur où l'un des protagonistes est liftier, sur la place où le cordonnier répare les chaussures. Notre objectif était également de mettre l'accent sur leurs échanges et leurs interactions avec les autochtones. La caméra s'attarde sur le moindre détail et filme dans le silence. Le son est coupé au moment où elle nous fait découvrir l'hôtel, le lieu de vie de ces migrants. Cette démarche obéit-elle à un objectif précis ? Notre démarche avait une visée participative. Comme nous voulions que les protagonistes aient un rôle actif, nous leur avons donné la caméra pour filmer l'hôtel où ils vivent. Il était très important qu'ils fassent leurs propres images. La coupure du son n'était pas prévue. Cet élément s'est imposé à nous et fait partie des miracles du tournage. Lorsque nous avons visionné ces séquences, nous nous sommes rendus compte de l'absence du son. Quand nous avons donné la caméra à Brahim, nous lui avons expliqué son usage. Mais avant de filmer, il avait oublié d'activer le micro. La coupure du son est donc l'acte d'une personne qui n'a pas l'habitude de filmer. Et cette omission a apporté une touche originale au film car elle met davantage l'accent sur leur précarité et permet de découvrir, dans une ambiance très émouvante, la réalité de leurs conditions de vie. Vous avez filmé des scènes en gros plans. Est-ce une manière d'attirer davantage l'attention des spectateurs ? Les gros plans nous permettaient d'avoir une distance très proche avec les personnages. Cette technique avait pour objectif de créer de la proximité. Par moments, cette manière de filmer remplaçait la parole puisque nous avions fait le choix de ne poser aucune question. D'ailleurs, les scènes de l'hôtel étaient également filmées en gros plans. Ces séquences ont pour fonction d'impliquer davantage les spectateurs et de leur faire découvrir des personnages qui ont tendance à passer inaperçus et parfois complètement ignorés voire méprisés. «Afric Hotel» ne filme pas les émigrés en tant que masse. Nous ne décrivons pas la situation globale des émigrés africains mais celle de chaque migrant en tant qu'individu. Nous avons fait le choix de centrer notre attention sur ces trois personnages. Mais ces derniers ne sont en aucun cas représentatifs de tous les Africains qui vivent en Algérie. Par cette démarche, nous avons souhaité les individualiser car chaque personne est unique, chaque migrant a ses propres spécificités, sa propre histoire, son propre parcours. Il est bien évident qu'il existe des points communs entre ces personnages. On sent d'ailleurs chez eux une sensibilité et une peur du fait de leur situation de migrants. L'exil est un élément partagé car il est extrêmement difficile de vivre dans un pays où il n'est pas toujours aisé d'avoir le statut d'étranger. Le racisme n'est pas frontal, il est latent. Ces migrants vivent le racisme d'une manière très insidieuse. Il est suggéré, deviné, senti et vécu malgré tout. La fin du documentaire ne dit pas mais suggère. L'un des personnages marche au milieu d'un chantier, à proximité d'une gare. Quelle est la symbolique de la gare ? Est-ce une manière de laisser aux spectateurs la liberté d'imaginer la fin ? «Afric Hotel» se termine par cette scène où l'un des protagonistes marche vers une gare. Ce lieu a une très forte symbolique car il suggère l'idée de mouvement et de circulation. Nous voulions mettre en exergue l'idée de la liberté de déplacement. Derrière la gare, il y a la mer. Mais des containers se dressent comme un mur et font obstacle à cette liberté d'aller et de venir librement, obligeant à l'errance. Cette idée d'empêchement de mouvement est vécue quotidiennement par des êtres humains qui tentent de passer des frontières en quête de meilleures conditions de vie. L'aventure migratoire de ces migrants subsahariens est une expérience humaine, à la fois individuelle et collective. Elle reste néanmoins spécifique à chaque individu. Nous nous sommes intéressés à ces migrants dans leur dimension d'individus qui ont leurs propres caractéristiques et spécificités. C'est pourquoi, nous n'avons pas sous-titré les séquences où ils s'exprimaient dans leurs langues et en français. Seules les conversations en arabe ont fait l'objet de sous-titrage. Entretien réalisé à Paris par Nadia Agsous