On le sait tous : la mémoire est traîtresse. Elle s'aliène au fil du temps qui passe. Alors pour éviter de perdre ce qui nous est cher, il faut savoir le transmettre à temps, avant que l'oubli ne ronge tout doucement nos neurones. Femme de culture, Rabéa Douibi sait combien il est urgent de préserver ce qui peut être perdu demain. Aussi, elle est allée à la rencontre de ceux qui gardent jalousement un pan de la culture orale de la région de Tamanrasset où elle vit depuis 23 ans pour pouvoir les convaincre de la léguer enfin à la postérité. Le travail auquel s'attellera Mme Douibi sera de longue haleine puisque, pendant trois longues années, elle ira en quête des poètes du désert afin de recueillir leurs paroles et retranscrire leurs vers. Pour ce faire, elle a fait appel à Zahra Khodja qui, au nom d'un indéfectible lien d'amitié et d'un amour démesuré pour les dunes du Sahara, acceptera de la suivre dans cette aventure passionnante. Ensemble, elles s'entretiendront avec les aèdes du désert qui, avec beaucoup de gentillesse et de bonne volonté, accepteront de leur céder ce qu'ils conservent jalousement depuis des siècles. Assoumi Kada, Mohamed Ajla, Kouaren Nadjem Ben Akhemma, Ameriouadh Fatima Alamine dite Chena, et on en oublie encore, les feront pénétrer dans les arcanes de leur culture et l'intimité de leur mémoire. Pour la plupart septuagénaires, ces Touareg ont ainsi déclamé des vers rescapés du passé ancestral de la région. Rabéa Douibi et Zahra Khodja ont fait le reste, à savoir recueillir les textes en tifinagh et le transcrire en français. Le verbe est beau, la parole est aisée mais le sens est lourd car il évoque le quotidien des Kel Ahaggar, autrement dit les Touareg. Un quotidien tournant autour du triptyque : la femme, la guerre et la mort. Outre le verbe, l'image tient la part belle de ce beau livre. Feissal Abdelaziz, en photographe chevronné, a su immortaliser des tranches de vie et capter des scènes où la nature est au summum de sa beauté. Préfacé par Mme Khalida Toumi et édité par le ministère de la Culture, ce livre a pu voir le jour grâce aussi au concours du directeur de la maison de la culture de Tamanrasset et du directeur du l'Office du parc de l'Ahaggar qui ont mis à la disposition de Mme Douibi et de son équipe tous les moyens logistiques nécessaires. A noter que Mme Rabéa Douibi partage sa vie entre Alger et Tam. Elle enseigne le français au lycée et à l'ITE de Tamanrasset pendant de nombreuses années avant de prendre sa retraite en 2001. En 2004, elle publie un recueil de nouvelles intitulé «Comme un désert», suivi en 2008 d'un roman ayant pour titre «La femme aux chevilles tatouées». Hassina A. Rabéa Douibi, Poésie de l'Ahaggar, ministère de la Culture, 2010, 167 pages