Les cimaises de Dar El-Kenz se parent, entre le 28 mai et le 12 juin 2011, d'une trentaine d'aquarelles et de trois fusains parmi les œuvres les plus représentatives de Bettina Heinen-Ayech. Les tableaux, de différentes dimensions (de 24 x33 cm à 76x56 cm), enfourchent les thématiques qui ont de tout temps entraîné notre artiste à privilégier les paysages champêtres, montueux et ruraux, les représentations florales, les portraits, sujets qui reviennent régulièrement comme des leitmotivs dans son travail. Un travail qui s'impose par sa régularité, sa puissance et une exaltante présence qui vous met instantanément dans une relation de chaleureuse connivence. Une indéfectible «Guelmitude» «Ton pays ne recèle-t-il pas de beautés qui valent d'être chantées ?» A ce questionnement du poète Habib Tangour, Bettina répond par des œuvres innombrables, une œuvre totale qui est celui d'aimer et de chanter une région d'adoption (Guelma) autant que son pays d'origine (Solingen). Une œuvre qui illustre un insécable attachement, un amour fusionnel entre un pays d'accueil et une femme venue du nord il y a de cela près d'un demi-siècle, une femme rentrée au pays – l'Algérie – avec son mari Abdelhamid Ayech qui, dit-elle «est mon Algérie à moi», dont elle reproduit d'ailleurs, dans une de ses aquarelles «les mains formées par le travail, aussi belles et expressives que son visage», un homme qui ressemble aux pentes héroïques de la Mahouna, une chaîne de montagnes qui a été et reste pour Bettina ce qu'a été la chaîne de la Sainte-Victoire pour Paul Cézanne, La Loire pour Olivier Debré, la Provence, pour Marcel Pagnol, le Dahra avec ses oliviers rugueux, noueux et rebelles pour Mohamed Khadda, Tipasa pour Camus, le sud (américain) pour William Faulkner, les chemins qui montent de Kabylie pour Mammerie et Feraoun, la place de l'horloge pour les artistes milianais (Zazac, Bouzar, Stambouli et Lantri El Foul). La Mahouna mais aussi la Seybousse qui ont trouvé en Bettina un chantre impuni qui n'a de cesse que d'épancher son versant de poète dans des œuvres picturales lyriques et enchanteresses. Des œuvres qui, par delà les cimaises, vous poursuivent de leur attachante prégnance. De leur profonde «guelmitude». Bettina a su vibrer au diapason des pulsations d'une région à travers la tranquille touffeur des ruelles qu'elle saisit promptement par l'échappée furtive d'une fenêtre de sa maison. Elle aime reproduire la majestueuse verticalité des cyprès qui bordent «l'allée près d'Hélipolis», un des lieux géodésiques incontournables de ce que nous osons appeler le «Guelmaland». Elle s'éclate à peindre des «fleurs sauvages», des «narcisses sauvages», des «coquelicots à côté du chemin», un «bouquet d'arômes et de roses», des «cactus», un «bouquet d'oiseaux du paradis». Elle se délecte, et nous avec elle, à la vue «d'une vieille ferme à héliopolis», d'un «champs d'orangers», de la «terre rouge de Guelma», de «la Mamouna vue d'El Fedjoudj», de la «Vallée de la Seybouse», du «Vieil abattoir de la ville», en face de «la maison d'en face», de «la Mahouna rouge», de «la Mahouna verte», de «l'allée des palmiers», de «Tabarka» dont elle garde un souvenir indélébile et qui semble si proche de la Guelma dans le cœur de Bettina. Bettina qui n'oublie pas de portraiturer avec une indicible tendresse tous ceux qui ont traversé sa proximité : «Le poète Ahmed Achouri», «le journaliste Abdelouahab Boumaza», «Abdelhamid Ayech», son mari, sa fille «Diana», son fils «Haroun Ayech». Elle n'oublie pas de marquer la fuite du temps à travers une flopée d'autoportraits à différentes et fréquentes périodes de sa vie. Bettina la «Guelma'artiste» Bettina peint les végétaux, les fleurs notamment qu'elle traite avec amour quand elle les surprend dans leurs chorégraphies champêtres, mais surtout, elle s'évertue à en extirper les pulsations à travers les floculations chromatiques qu'elle saisit comme on saisit des envolées poétiques dans d'intemporels émois picturaux. Le caractère orgiaque des couleurs butinées dans toute leur vigueur fait couler sur les tableaux un élixir rétinien qui s'offre à nous comme une offrande, celle, généreuse d'une nature opulente, en gésine d'une succession de printemps d'émotion. Des couleurs dont Bettina ne peut pas, ne sait pas se départir même quand elle nous invite à voir des «oliviers calcinés» (2007) qui ressemblent à des arbres aussi vigoureux et vivaces que cette sorte de candeur qu'elle porte en elle et qu'elle nous convie à partager. Reflets d'un optimisme en fleurs, ces œuvres sont un hymne au printemps permanent qui ne cesse de sourdre des versants abyssaux d'une artiste amoureuse d'un pays où elle sait et aime se perdre en nous prenant par la main. Ce pays profond qu'on ne peut fréquenter sans risque de contamination, parce que nous venons de nommer «guelmitude», néologismes qu'on voudraient gratifiant d'une relation à la terre, au terroir, au campagne permanente, à sa quiète temporalité, relation vitale, fœtale, oserions-nous dire. Peintre prolifique, Bettina égrène derrière-elle un demi-siècle de métier. Elle a vendu sa première toile à l'âge de douze ans. Elle a eu comme maître à l'issue de ses études aux écoles des Beaux-Arts de Cologne, de Munich et de Copenhague, Edwin Bowien dont elle garde l'indélébile souvenir. Elle a appris à aimer, grâce à ses nombreuses pérégrinations muséales en Europe, le Néerlandais Van Gogh, le Norvégien Edvard Munch, les Suisses Hodler et Segantini. Elle a traversé les héroïques années soixante en Algérie et fréquenté l'incontournable galerie de l'UNAP où elle a connu Ali Khodja, Khadda, Zmirli, Merdoukh, Adane, Hioun, Chegrane, Nedjar, Bourdine, Chalane, Seghir, Aicha Haddad, Farès, Souhila Belabahar, Hakkar notamment. Un postmodernisme figuratif Bettina pratique une peinture résolument postmoderne dans la mesure où elle convoque, tour à tour, les langages qui ont éclos dans les deux dernières décades du XIXe siècle, et la première moitié du XXe siècle, de l'emblématique mouvement impressionniste jusqu'aux dérives postexpressionnistes. Elle procède par touches à l'aquarelle – qui ne supporte pas les superpositions et les repentirs – et, comme une tisseuse, point par point, elle respecte l'équilibre des formes et la stridence des chromatismes pour aboutir à une subliminale délicatesse des tons. La densité et la subtilité de la palette confèrent à la composition une rythmique et une vigueur remarquables. La facture, subjective par nécessité intérieure, mais soucieuse de respecter un étiage de réalisme, ces compositions lyriques et poétiques d'une grande fertilité chromatique, sont traversées par notre regard comme autant d'arpents de nostalgie croulant sous une émouvante sincérité. Elles nous font l'invite à une enivrante immersion dans des champs visuels prégnants d'une indicible authenticité. Où les sentiments ne retentissent que lorsqu'on succombe à une certaine odeur du pays émergeant de nos tréfonds. Et Bettina, peintre de nos vernaculaires légitimités, n'a de cesse que de nous en révéler la magnitude.