Smaïn Hebbar, musicien émérite, vient de s'en aller sur la pointe des pieds. Celui qui était connu pour être l'un des piliers de l'action culturelle de feu Kateb Yacine a tiré sa révérence le 12 septembre dernier. Il a été enterré le lendemain au cimetière de Garidi. Smaïn Hebbar, virtuose musicien et chanteur populaire, a souvent attiré l'attention du spectateur avec sa voix rauque et son jeu de l'instrument, comme le mandole ou le banjo. De ses doigts et ses tripes, il chantait avec sensation tous les textes de Kateb Yacine. Souvent, il était accompagné sur scène par un autre personnage, en la personne de Boudiaf Tahar alias «El hikma, le flûtiste». Ce dernier, Yacine l'avait rencontré en 1975 à Constantine lors d'une représentation théâtrale de la pièce «Mohamed prends ta valise». Smaïn Hebbar, puisque c'est de lui qu'il s'agit, chantait les textes de toutes les pièces de l'auteur à commencer par ceux de «Mohamed prends ta valise», «Palestine trahie», «La Guerre de 2000 ans», «Le Roi de l'ouest» et «Poudre d'intelligence». Il lui arrivait d'interpréter d'autres textes dans les deux langues maternelles, à savoir le tamazight et l'arabe dialectal, et même des textes de chanteurs «engagés» tels que cheikh Imam, du poète Fouad Negm et d'autres. En réalité, aucune autre personne ne pourra interpréter les textes du regretté Yacine quel que soit son talent, car il est impossible de vivre et de ressentir l'impact et la valeur du texte sans avoir connu ou côtoyé Yacine. Smaïn a vite noué des liens d'amitié avec Kateb Yacine. D'ailleurs, il a effectué un voyage en URSS, plus précisément à Agra (Caucase), en 1977 avec son fils Amazigh, qui n'avait que cinq ans à l'époque. Pour revenir à Smaïn Hebbar, il est né le 27 mai 1949 à La Casbah d'Alger, à l'ex-rue des Chameaux, actuelle rue des Frères Racim que la plupart des ouled El Casbah appelaient zenquet labeir, à Bab Jdid. Il est originaire du village Chorfa, dans la commune d'Azazga, dans la wilaya de Tizi-Ouzou et a passé son enfance à La Casbah, puis sa famille a déménagé après l'indépendance pour s'installer dans le quartier de Léveilley (actuelle Maqaria). C'est en 1973 qu'il a fait connaissance avec Kateb Yacine par l'intermédiaire d'un ouvrier de l'ONAMO, un organisme qui dépendait, à l'époque, du ministère du Travail, et la troupe théâtrale Action culturelle travailleurs que dirigeait Yacine, travaille était placée sous sa tutelle. Avant que Smaïn ne rejoigne la troupe, comme chaque artiste, il a travaillé au port, au sein de la Compagnie nationale algérienne de navigation en qualité d'agent dans l'import-export (quai d'Antibes) et il lui arrivait des fois de chanter pour les dockers. Lorsqu'il a rejoint l'Action culturelle des travailleurs en 1973 et jusqu'en 1978, date du départ de la troupe d'Alger vers Sidi Bel-Abbès, Smaïn est resté toujours fidèle à Yacine, et ce dernier l'admirait beaucoup car il était pétri de qualités. De cette date jusqu'à sa retraite, Smaïn a continué à apporter sa contribution au sein de la troupe, non seulement dans les pièces de Yacine, mais également dans d'autres pièces signées par d'autres auteurs auxquels le théâtre a ouvert les portes du vivant de Kateb pour promouvoir les jeunes auteurs tels que Mohamed Bakhti avec ses trois pièces «Anti oua ana», «Ya ben âmmi win», «El djelsa marfouâ», ainsi que pour son cousin Malek Kateb dans son monologue «Allal danger» interprété par le regretté Mustapha Nedjar. D'ailleurs, à titre d'information, il arrivait à Smaïn Hebbar de camper des personnages en cas de défection d'un comédien. A titre d'information, Smaïn a effectué plusieurs tournées à travers le territoire national, voire même à l'étranger, comme en France et en République démocratique d'Allemagne. Puis, en 1979, une tournée au Sahara occidental avec la pièce «Le Roi de l'Ouest» qui a été vue par quelque 70.000 Sahraouis dans les camps de réfugiés. Depuis quelques années, surtout après la disparition du regretté Kateb Yacine, le théâtre était plus géré comme du temps du défunt et l'ambiance n'était plus la même. Aussi, la plupart des anciens ont été indirectement poussés à partir en retraite, Smaïn y compris. Smaïn Hebbar laisse un grand vide derrière lui. Qu'il repose en paix.