S'ils n'étaient pas fermés, les tribunaux de toutes les régions d'Algérie n'en étaient pas moins désertés par le public. Particulièrement les détenus et autres justiciables cités à comparaître et dont le jugement a été reporté sine die faute d'avocats. Les tribunaux resteront ainsi durant les trois jours de débrayage des avocats, auquel a appelé l'Union des barreaux d'Algérie (UBA) pour protester contre le projet de loi régissant leur profession. Si le mouvement a été largement suivi à travers le pays, la démarche n'a pas été identique à celles similaires déclenchées les précédentes années. En effet, hier premier jour du débrayage, même s'il est à l'origine de la paralysie totale de l'ensemble des activités et autre procédures judiciaires en relation directe avec la mission des membres du barreau de chaque cour de justice, la grève est passée presque inaperçue auprès du public. Même les gens de la presse ont eu énormément des difficultés à prendre attache avec les bâtonniers et autres membres de l'UBA. N'étaient les quelques déclarations exprimant la satisfaction des initiateurs quant au suivi massif de l'appel à la grève à travers l'ensemble des régions du pays, le mouvement serait resté entre avocats. Les justiciables ont été les plus pénalisés avec l'absence de leur avocat tant lors de l'audience civile, commerciale, administrative ou pénale. Et pourtant, l'objectif assigné à ces trois jours de grève décidée lors de l'assemblée générale de l'UBA tenue il y a quelques jours à Béjaïa est important. Y sont dénoncées la majorité des dispositions du nouveau projet de loi portant organisation de la profession d'avocat. Il a été initié par le ministère de la Justice. Pour les avocats, ces dispositions constituent une atteinte au droit à la défense et à l'indépendance du barreau. D'autant plus important qu'avant de lever la séance de leur réunion de Béjaïa, les participants avaient menacé de radicaliser leur mouvement en recourant à une grève générale nationale illimitée au cas où ils ne seraient pas entendus. Le succès de leur marche de protestation faite à Alger le mois de juin dernier malgré l'interdiction des autorités, semble les avoir stimulé. La menace avait été assortie par la décision des membres de l'UBA de saisir les «instances suprêmes». Selon eux, la situation des avocats est devenue intenable, car confrontés à de multiples dépassements dans l'exercice de leur fonction au prétoire. Les magistrats sont pointés du doigt comme étant les principaux auteurs de ces dépassements avec même, selon eux, le droit de décider de l'avenir de tout avocat qui insisterait à vouloir accomplir sa mission conformément à l'éthique et la déontologie régissant sa profession. Les revendications des hommes en noir du prétoire, ne s'arrêtent pas à ce niveau. Affirmant qu'à de rares exceptions, il n'y a pas encore eu de réactions dignes du nom aux atteintes des droits de la défense, telle que la limitation de temps de plaidoirie, les avocats se posent des questions sur le projet de création de l'Institut national de formation des avocats. «Par qui cet institut qui concerne les avocats sera-t-il géré ? Faut-il comprendre qu'en n'impliquant pas les gens du barreau national, les initiateurs de ce projet les en ont exclus ? Cet institut est-il destiné aux candidats de toutes les couches sociales du pays remplissant les critères d'admission ou sera-t-il limité aux privilégiés du système, comme c'est le cas pour la magistrature ?» ont été les questions, parmi tant d'autres, abordées par les membres du l'UBA. Lors de cette première journée de grève, de nombreux avocats très en colère, ont estimé que la majorité des bâtonniers continuent à croire aux promesses sans lendemain faites par le ministère de la Justice quant à l'amélioration des relations de travail des avocats avec les magistrats. «A chaque fois, les bâtonniers reviennent de leur réunion avec le ministre avec des engagements fermes allant dans le sens d'une meilleure compréhension de la mission de l'avocat par les magistrats. Or, à ce jour, aucun de ces engagements n'a été tenu. Au contraire, les brimades, vexations et autres comportements des magistrats préjudiciables au droit de la défense, se sont multipliés. Ces engagements n'ont jamais été concrétisés sur le terrain», estime un des vieux routiers du barreau de Annaba contacté au téléphone. D'autres de ces confrères argumentent le nombre important de dossiers sur lesquels le tribunal doit impérativement se prononcer. «Ce nombre varie de 100 à 150 et même plus par audience de tribunal. Ce qui entraîne des énervements de par et d'autre du prétoire avec tout le préjudice que pareille situation sous-entend pour le justiciable. Le nombre impose parfois au président du tribunal d'interrompre l'avocat dans sa plaidoirie ou de rejeter toute idée de report du jugement, ce qui n'est pas normal. Il faut que cela cesse», estiment nos interlocuteurs qui s'interrogent sur l'implication de la chancellerie dans cette situation.