La situation dans le monde arabe ne fait qu'empirer depuis l'éclatement des soulèvements populaires, et rien ne semble en mesure d'arrêter cette inexorable dérive vers le chaos, même dans les pays, comme la Tunisie, qui donnent l'impression d'avoir échappé au péril de la désintégration. Si pour les plus optimistes, ces bouleversements sanglants sont le prix à payer pour mener un changement radical dans une région qui a longtemps connu l'ostracisme et la dictature, il n'y a en fait rien qui garantisse une stabilité durable pour tous ces pays, même avec le soutien actif des grandes puissances. Le cas de la Syrie est sans doute aujourd'hui le plus préoccupant. Le scénario d'une guerre civile se précise chaque jour un peu plus. Signe de ce glissement fatal : hier, la capitale Damas a été, pour la première fois depuis le début du soulèvement, le théâtre d'une attaque à la roquette des adversaires au régime. Au moins deux roquettes ont été tirées à l'aube sur l'un des sièges du parti Baath au pouvoir depuis 1963 en Syrie, ont rapporté des habitants. L'Armée syrienne libre, composée de déserteurs et basée en Syrie, a revendiqué l'attaque, alors que les opposants continuaient à revendiquer une révolution pacifique et cela ne fera que durcir la position du régime. Dans un entretien accordé au Sunday Times, Bachar Al Assad a, une nouvelle fois, défié la communauté internationale en promettant de ne pas céder à l'ultimatum de la Ligue arabe. L'organisation panarabe, qui a suspendu Damas de ses instances et menacé de sanctions, avait laissé à la Syrie jusqu'à samedi pour appliquer le plan de paix qui prévoit notamment un retrait des troupes déployées dans plusieurs villes du pays. Le chantage par la guerre civile Il faut dire que l'initiative arabe sur la Syrie n'avait laissé aucun choix au gouvernement de Bachar Al Assad, parce qu'elle ne donne aucun gage sérieux sur l'arrêt des hostilités et surtout, des pressions politiques internationales sous-jacentes. Ce qui a fait croire aux observateurs que cet échec programmé était conçu pour justifier, à terme, une intervention du Conseil de sécurité. Pour preuve, la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne et plusieurs pays arabes espèrent soumettre demain au vote de l'Assemblée générale de l'ONU une résolution condamnant la Syrie pour la répression de l'opposition. La Turquie, qui a coupé les ponts avec son ancien allié, élaborerait pour sa part des plans en vue de l'instauration d'une zone d'exclusion aérienne pour protéger les civils en cas de durcissement de la répression. Autre pays arabe en guerre civile : le Yémen, où le feu couvait depuis plus de dix mois. Des affrontements entre partisans du régime et leurs adversaires font chaque jour des victimes, notamment au sud du pays, où la rébellion armée a une longue tradition. L'usage d'armes lourdes dans les combats fait craindre une scission du pays, et l'entrée en scène des groupes affiliés à Al Qaïda laisse les voisins du Golfe et mêmes les capitales occidentales, plutôt sceptiques sur les chances de succès d'un changement de régime au Yémen. Moins médiatisée pour des raisons très évidentes, la situation dans le petit royaume du Bahreïn, demeure tendue. L'armée est encore intervenue ces derniers jours pour disperser les manifestants à Manama. L'enterrement des manifestants tués dans la nuit de mercredi à jeudi avait donné lieu à de nouveaux rassemblements qui ont maintenu la tension. Dans ce pays, les risques de déchirement ethniques ne sont pas à exclure, dès lors que les principaux instigateurs de ce mouvement sont les mouvements chiites, réfractaires au système monarchique. Tous les pays du Golfe s'inquiètent de l'évolution de la situation dans la région, et redoutent un effet de contagion dans leur propre pays, notamment en Arabie Saoudite et au Koweït, où la communauté chiite est aussi active. La révolution permanente En Egypte, la révolution continue ! Le gouvernement s'était réuni hier pour examiner la dégradation de la situation sécuritaire après les affrontements qui ont fait jusqu'à maintenant 2 morts et 750 blessés entre manifestants et forces de police à travers plusieurs villes du pays. Les manifestants voulaient exprimer leur mécontentement de la politique menée par le Haut conseil de l'armée, qui dirige le pays depuis la chute du régime de Hosni Moubarak, en janvier dernier. Les manifestants ont scandé : «Le peuple veut la chute du régime», réclamant à l'armée un transfert rapide des pouvoirs. Les activistes et les hommes politiques dénoncent la persistance des pratiques de l'ancien régime : répression, torture, censure… A cette instabilité chronique s'ajoutent deux gros problèmes pour les autorités : la question copte qui envenime le débat politique en Egypte depuis les affrontements sanglants d'octobre dernier et l'organisation des premières élections après la chute de Moubarak, prévues pour la fin de novembre et qui risque, donc, de connaître des débordements fatals sans compter la hantise d'une victoire écrasante des Frères musulmans à ces élections. En Libye, le chaos s'installe dans la durée. Après une guerre atroce, les nouveaux clans dirigeants commencent déjà à s'entredéchirer outre les affrontements armés entre différents groupes qui illustrent les difficultés de constituer une armée régulière. Les divergences idéologiques et tribales risquent de mener le pays à une désintégration dont les germes étaient déjà portés par la révolution. Et ce qui vient aggraver la situation, sont les influences étrangères, que certains dirigeants osent dénoncer publiquement à l'image du représentant de la Libye à l'ONU, Abderrahmane Chelgam, qui n'hésite pas à tirer à boulets rouges sur le Qatar, qu'il accuse de soutenir des groupes islamistes libyens en armes et en argent.