Il semble que sur le plan sécuritaire, la situation en Tunisie évolue positivement grâce à la vigilance de l'armée déployée sur le terrain et celle des comités citoyens de défense qui se sont constitués pour contrer les agissements criminels des sbires du régime déchu. De l'avis des observateurs, le calme est en train de revenir en Tunisie et les citoyens sont en train de renouer avec la vie normale. Sauf que la rue et la classe politique sont toujours en effervescence, partagées qu'elles sont sur la façon dont doit être organisée et conduite la période de transition devant sortir le pays de l'ère Ben Ali. Le premier pas dans cette direction, à savoir la composition du gouvernement provisoire en charge de cette transition, fait plus que débat. La participation à ce gouvernement provisoire de personnalités de l'ancien régime et qui plus est à des postes clefs tels que le Premier ministère, l'Intérieur, la Défense et les Affaires étrangères a été mal accueillie dans le peuple qui y voit la récupération de sa révolution par des fidèles du dictateur déchu. Une appréhension à laquelle n'a pas été insensible l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) qui après avoir consenti à la composition du gouvernement provisoire, la dénonce maintenant comme allant contre l'attente populaire. Cette puissante organisation a par conséquent basculé dans le camp de ceux qui refusent la transition telle que voudrait la conduire Mohammed Ghannouchi, Premier ministre du gouvernement provisoire. Et ce camp n'a pas l'intention de se résigner au fait accompli de la récupération en marche de la révolution du jasmin. Des manifestations contre le «hold-up» se déroulent à Tunis et ailleurs en Tunisie. C'est dire que rien n'est encore joué dans ce pays et que tout peut encore basculer. Ce qui est en jeu dans ce bras de fer, c'est que soit le changement post Ben Ali va être radical, soit opéré superficiellement et préservant donc pour l'essentiel les intérêts de la caste dirigeante qui fut au service du dictateur déchu. Aux tenants de la première alternative, à savoir les couches populaires et les acteurs politiques et sociaux ayant pâti de la dictature de Ben Ali et de son parti, qui exigent que la Tunisie aille résolument vers l'éradication immédiate des legs du régime de Ben Ali, il est opposé que la radicalité de leurs exigences entraînerait le pays dans le chaos et provoquerait son effondrement. Force est de reconnaître que cet argument porte auprès de beaucoup de Tunisiens pour qui l'opération chirurgicale préconisée par les «radicaux» apparaît hasardeuse par le vide politique dont elle s'accompagnerait. Ils sont confortés dans leur «modération» par l'accueil approbateur réservé par les chancelleries étrangères «amies» de la Tunisie au gouvernement provisoire dirigé par Mohammed Ghannouchi. Les opposants à ce gouvernement provisoire dirigé pour l'essentiel par des créatures ayant été fidèles à l'ancien dictateur, n'ont pourtant pas tort d'y voir l'instrument de confiscation de la révolution populaire et d'exiger la révision de sa composante. D'autant qu'il est clair que ce gouvernement provisoire a une vision très réductrice de la démocratie comme le prouve l'ostracisme dont il a fait montre d'emblée contre certains courants politiques - les communistes et les islamistes, pour ne pas les citer. Ce qui indique qu'il a décidé par avance ce qui est bon ou mauvais pour les Tunisiens. Exactement ce que pratiquait la dictature avec laquelle le peuple tunisien pensait en avoir fini. Les jours à venir nous diront si ce peuple est l'auteur d'une grande révolution démocratique ou s'il a été simplement frustré dans ses espérances et revendications.