En élaborant ce livre d'un point de vue rétrospectif et prospectif, Belkhodja apporte à un moment crucial une contribution considérable à l'écriture de l'histoire marquée par de grands événements et des hommes d'envergure nationale, maghrébine et africaine. L'auteur nous apporte la preuve que l'écriture de l'histoire algérienne, liée à celle de l'Afrique du Nord et de tous les continents, surtout du monde musulman, est une œuvre de longue haleine. Ce qu'il a publié est appréciable mais c'est encore une goutte d'eau dans le désert. On peut finir par croire que les gens ne se remettront d'eux-mêmes à l'œuvre de reconstruction que lorsque tout aura été dit pour permettre à chacun de connaître la vérité sur le passé, l'identité, les événements qui ont forgé des personnalités. Quelques figures emblématiques de l'univers politique Il est des hommes issus de la même terre que nous tous qui aimons le pays, dont la parole a dissuadé nos ennemis dans beaucoup de leurs projets diaboliques. Rappelez-vous la réplique cinglante de Ferhat Abbas lorsque celui-ci avait été chahuté par des députés français alors qu'il prononçait un discours. Cela a dû se passer dans les années quarante lorsqu'il lança tout de go : «nous vous avons supportés pendant plus d'un siècle de colonisation, vous ne pouvez pas me supporter pendant 5 minutes ?» Pendant les années trente, Ferhat Abbas avait soulevé bien des tollés, provoqué des critiques de la part des administrateurs coloniaux, députés français, historiens algériens qui ne l'avaient pas bien compris, comme on l'a bien compris durant et après la Révolution. Il faut croire qu'il lui arrivait de parler par ironie à la manière de Montesquieu pour ne pas dire le fond de sa pensée. Dans son livre réédité en 2011, on a trouvé des passages qui montrent ce que nous disons de lui. Il dit que «les gens de mauvaise foi et ceux qui ne connaissent pas les nuances de la langue française ont donné de mon article une interprétation très éloignée. Pour que le lecteur soit juge de ma pensée et de mon écrit, voici le passage incriminé : (Ferhat Abbas cite l' Entente du 27-2-1936) : «La France c'est moi, parce que, moi, je suis le nombre, je suis le soldat, je suis l'ouvrier, je suis l'artisan, je suis le consommateur. Ecarter ma collaboration, mon bien-être et mon tribut à l'œuvre est comme une hérésie». Il était donc facile de comprendre que le moi en question ne m'était pas personnel. C'était un «moi collectif», j'ai simplement dit que si le peuple algérien ne se reconnaissait pas dans l'œuvre de la France, elle resterait précaire et fragile (Ferhat Abbas, l'indépendance confisquée 1962-1978, Alger livres éditions 2011). Ferhat Abbas, pharmacien de formation, installé comme tel à Sétif, a préféré s'occuper de politique anticoloniale que des médicaments. Ses nombreux ouvrages ont suscité beaucoup de polémiques et d'investigations dans ses dits et non dits de la part des grands journalistes de l'époque et de la période post- indépendance, tel Mahfoud Keddache, grand historien qui, pour élaborer des ouvrages, a dû manipuler des kilos de documents journalistiques. Amar Belkhodja cite Mme Benmansour, Charles Robert Ageron connu pour ses écrits sur l'Algérie d'avant et d'aujourd'hui. Belkhodja rapporte les propos édités sous la plume de Ferhat Abbas, Ahmed Benzadi et Ahmed Boumendjel qui font déverser des pamphlets, qualifiant Naegelen et son collaborateur Closi de «colonialistes de la pire espèce et de néofascistes qui tentent de se camoufler derrière la démocratie et la République une et indivisible pour commettre les pires abus et livrer l'Algérie aux féodaux, aux mandarins et aux analphabètes». (la République algérienne n°213 du 24/12/1950). Amar Belkhodja rapporte aussi les bases fondamentales de la doctrine de l'association des Oulémas d'Algérie dont la figure emblématique est Abdelhamid Ben Badis qui n'a jamais ménagé l'administration coloniale en déclarant haut et fort les revendications du nationalisme ; ce que Ben Badis dit à propos de l'Islam en vingt points est digne des religieux les plus modernistes, très en avance sur leur temps. Ils n'ont rien à voir avec les principes émanant des chefs religieux d'aujourd'hui. Pour réaliser le projet de l'aile religieuse du nationalisme algérien, Abdelhamid Ben Badis dit et ce qu'il dit mérite d ‘être retenu : «Il faut avoir pour force le droit, pour cuirasse la patience et pour armes le savoir, l'action et la sagesse ». A propos « A Tiaret, l'histoire se répète », l'auteur qui semble bien connaître cette ville d'Algérie nous avertit sur les conséquences de situations similaires qui se renouvellent. En 1950, c'était l'oppression coloniale qui avait poussé une jeunesse désœuvrée qui réclamait du travail sous l'égide d'une association de la jeunesse de Tiaret en chômage. Quarante ans après, les Tiarétiens recréent une association de lutte contre le chômage par un article paru dans El Massir de février 1991. On ne doit pas laisser inaperçus des chapitres consacrés à l'Emir Abdelkader puis à l'émir Khaled, à Chakib Arslan, à l'unité maghrébine, à son combat anticolonial, à Ben Khedda, au congrès de la Soummam, au mouvement national de la jeunesse, à la guerre de Libération, à Bugeaud qu'il convient de comparer à De Gaulle. Un livre pour se ressourcer Le profil choisi pour ce genre de textes portant sur des péripéties de notre glorieuse histoire est à caractère didactique. Cela relève d'une technique fondée sur la maîtrise de la matière et une bonne pédagogie de la transmission. Ayant pour but majeur de mettre tout le monde dans le bain de la culture historique qui fait gravement défaut, la présentation de l'ouvrage est des plus motivantes. La table des matières offre une diversité de sujets qui mettent dans l'embarras du choix. «Les universités du Maghreb » qu'on a pris au hasard comme exemple, malgré sa brièveté, donne l'essentiel à retenir sur les lieux historiques comme Tlemcen, Fès, Béjaïa, Tihert. Les Béni Hammad ont été les fondateurs des premières universités maghrébines. La vie de l'Emir Abdelkader est liée à celle des Zaouias, à Ibn El Arabi dont il a été un fidèle adepte, Amar Belkhodja nous rappelle la Zaïtouna de Tunisie, la Quaraouine de Fès, deux lieux de culture d'où sont sortis des intellectuels algériens devenus célèbres. Il n'y a pas de domaine de recherche qui mérite tous les soins des concernés. Dans un premier temps, les artisans de la révolution algérienne devraient laisser derrière eux des témoignages précieux pour que l'écriture de l'histoire se fasse dans les normes. Amar Belkhodja a cité des exemples d'hommes historiques comme Benyoucef Ben Khedda qui ont produit d'intéressants travaux sur la guerre de Libération contrairement à Lamine Debahine qui a gardé le silence jusqu'à sa mort. Quel dommage ! C'est par l'apprentissage de l'histoire depuis les premières années d'école qu'on se forge une personnalité et qu'on acquiert son identité et l'amour du pays. En Epiant l'histoire, Amar Belkhodja, Ed. Alpha, 398 pages, 2011