En fait, l'œuvre tient des deux genres romanesques tant le thème principal est le mariage de Dounia sur fond de guerre d'occupation coloniale sous le prétexte fallacieux d'un coup d'éventail as-séné par le dey au consul français. «Que Dieu maudisse Bouchenak et Bacri, deux juifs qui sont à l'origine du fameux coup d'éventail», dit l'auteur du livre qui a reconstitué avec beaucoup de talent le cadre politico-social des années de la conquête française qui fait croire qu'on y est vraiment. L'auteur a voulu que le livre soit composé de deux parties distinctes, mais complémentaires; l'une sert à agré-menter l'autre, d'autant plus que l'écriture est d'une facture conforme aux normes d'une syntaxe assez correcte dans l'ensemble. Dounia, un destin, une fille à marier Nous sommes dans une société où les traditions ancestrales sont sacralisées, à une époque déter-minée de son histoire. Le destin d'une fille est de grandir dans les meilleures conditions possibles pour être la meilleure sur le marché des ma-riages. Jusqu'à la guerre de Libé-ration nationale, la plus meurtrière dans les annales de la décolonisation, la fille n'avait pas le droit d'exiger qu'on la donne en mariage à l'homme de son choix. On pouvait l'offrir même à un vieux barbon. Il en fut de même pour les jeunes filles juives. Naïma en est un exemple type, du temps où la cohabitation arabo-juive était courante. Les soins du corps donnés à la mariée pour mieux l'apprêter au mariage sont d'une similitude étonnante d'une société tradition-nelle à une autre. Au fil des siècles, elles se sont côtoyées au point de voir l'une s'inspirer de l'autre, malgré les barrières religieuses. Pour sa préparation au mariage, la jeune Dounia est bien prise en charge par Zahra, Khalti Baya. La vue d'un mariage et celle d'un accouchement vont être pour elle des scènes obligatoires dont elle a le devoir de garder de vifs souvenirs pour sa vie de femme mariée, puis de maman au foyer. La tradition pour les plus pauvres dans la société est le pire des carcans, car à la soumission aveugle, il faut ajouter la plus grande misère. Et dans une classe privilégiée, elle est moins éprouvante. Dounia baigne dans un espace épanouissant et une abondance alimentaire et vestimen-taire inimaginable. Pendant des années, des femmes ont la respon-sabilité de lui apprêter un trousseau de reine. Que peut-on demander de plus ? Et des événements heureux annon-ciateurs de vie harmonieuse et de bonheur sans fin ne font que la conforter dans l'imminence de son mariage. La naissance d'un frère lui apporte la plus grande joie. 2e partie : la guerre de conquête coloniale Jusque-là, on a rencontré des noms de femmes et d'hommes arabes. En cette deuxième partie, Arnaud, offi-cier de l'armée française, qui faisait partie du corps expéditionnaire, fit irruption dans le paysage en passant par la côte et grâce au Voltigeur. Cette entrée de l'armada conquérante semble s'être faite sans trop de heurts. On entendait çà et là des coups de feu sans qu'aucun ne pût les situer ni en dire les effets. On rapporte que trois siècles plus tôt, les Espagnols qui s'étaient eux aussi préparés à la conquête ont été incapables de s'approcher de la ville, craignant une défaite. Les batteries de «Fort l'Empereur» étaient prêtes à l'attaque pour repousser tout envahisseur qui n'attend qu'un mo-ment favorable pour une revanche : «Vous venez de rouvrir les portes du christianisme en Afrique, vous avez renoué avec les croisés», dit l'un d'eux. Tous les projets semblent être tombés à l'eau, pourtant il y eut quelque espoir avec Hadj Mahied-dine de Mascara, prêt à lever une grande armée contre l'ennemi. Ce qu'il fit, mais bien des trahisons avaient rendu vains ses efforts. Dans des situations critiques où se profilent de réelles menaces d'une guerre injuste. Et pour ne pas prendre le risque de rester sans vivres, on emporte toutes les provisions de bouche pour les dissimuler dans des caches en montagne ou en plaine monopolisée par les colons. D'après le livre, les Arabes et les occupants étrangers se regardent parfois comme des citoyens du monde et non comme des ennemis. Chacun de quelques-uns des deux camps fait l'effort d'être humaniste. Cela se voit au niveau des prisonniers traités humainement parce que l'Islam le recommande. Nous remarquons que Dounia occupe la place principale qui se cherche dans un univers dont les repères se perdent. Il lui est arrivé de polariser tous les regards. C'est pourquoi on peut parler à son sujet de voyage initiatique. Dounia, roman de Fatéma Bakhaï, Ed. Alpha, 285 pages, 2011