L'un des piliers de la chanson kabyle, Dda Chérif Kheddam, n'est plus. Le barde a tiré sa révérence, lundi 23 janvier, dans un hôpital parisien des suites d'une longue maladie. Il avait 85 ans. Chérif Kheddam, qui ne s'était plus produit sur scène depuis plusieurs années, était resté, malgré tout, présent dans l'esprit de ses innombrables fans et des amis artistes. Ces derniers lui avaient, d'ailleurs, rendu un vibrant hommage, l'an dernier, à la salle Ibn Zeydoun, hommage auquel il n'avait, malheureusement, pas pu assister pour des raisons de santé, mais son esprit planait dans la salle tout au long du spectacle. Chanteur de l'amour, de la misère et de l'exil, Chérif Kheddam a su insuffler, avec d'autres chanteurs de sa trempe, à l'image de Slimane Azem, Cheikh El Hasnaoui, Allaoua Zerrouki, Akli Yahiatène, Kamel Hamadi et tant d'autres, une âme noble à la chanson kabyle, tant faisant sortir des montagnes enclavées du Djurdjura pour la porter sur la scène internationale. Natif du village d'Ath Vou Messaoud, en Haute Kabylie, Chérif Kheddam y a vu le jour le 1er janvier 1927 au sein d'une modeste famille de marabouts. Aîné d'une fratrie de cinq enfants, Chérif est, dans un premier temps, envoyé par son père à l'école française, située à 17 km. Mais en raison de l'éloignement et des dures conditions, il décide de le confier plutôt à Cheikh Oubelkacem, de la zaouïa des Boudjellil, située en face de Tazmalt, dans la wilaya de Bgayet, où il restera jusqu'en 1942, année où il termine son cursus coranique. Alors qu'il n'a que 12 ans, il arrive à Alger pour travailler comme journalier dans une entreprise de construction à Oued-Smar qu'il quitte au bout de trois ans après une dispute avec son patron. En 1947, il met le cap sur la France. A son arrivée, il s'établit à Saint-Denis puis à Epinay. De 1947 à 1952, il travaille dans une fonderie puis dans une entreprise de peinture de 1953 à 1961. Passionné de musique, il prend tous les soirs, parallèlement à son travail, des cours de solfège chez des particuliers. Sa première chanson est intitulée «Yellis n tmurt iw» (Fille de mon pays), enregistrée le mois de juillet sur un disque 78 tours grâce au concours d'un ami français, libraire de profession. La diffusion du disque par la RTF (Radio-Télévision française) lui assure un beau succès, sans pour autant que l'artiste en herbe qu'il est alors n'arrive à se produire avec facilité. Il continue alors à travailler comme ouvrier le jour et à s'adonner à sa musique le soir. Grâce à son talent et à sa persévérance, Chérif Kheddam compose pour Radio Paris, puis pour l'ORTF plusieurs morceaux exécutés par le grand orchestre de la radio, sous la direction de Pierre Duvivier. D'autres pièces sont interprétées en 1963 par l'orchestre de l'Opéra comique. Le nom de l'artiste circule dans les milieux artistiques, il y fait de prodigieuses rencontres dont celle de Ahmed Hachelef, directeur artistique. Les affres de l'exil et de la guerre d'Algérie le poussent au repli sur soi et à la création. Chérif Kheddam insuffle à la chanson kabyle un air de modernité, qui plaît beaucoup que ce soit au public ou aux artistes. D'ailleurs, il prendra un grand nombre d'entre- eux sous son aile, à l'image de Ferhat Imazighen Imoula, Idir, Aït Menguellet, Malika Domrane, Nouara, Ahcène Abassi et on en oublie encore. Durant l'année 1958, Chérif Kheddam compose et enregistre quelques-unes de ses plus belles chansons dont «Nadia», «Djurdjura», «Khir Ajellav n'Tmurtiw», entre autres. Bien que ses textes soient gorgés de poésie, il ne se considère pas poète pour autant. Il répétait à qui voulait l'entendre que, pour lui, la musique est plus importante que les paroles, témoigne Tahar Djaout, l'un de ses amis et fervent admirateurs. En 1963, il décide de revenir au pays et prend contact avec la Chaîne II de la Radio nationale qui l'engage aussitôt. Il y anime plusieurs émissions de radio, mais c'est avec «Ighennayen Uzekka» qu'il se fera le plus connaître et apprécier. Il dénichera par le biais de cette émission de nombreux jeunes talents. Chérif Kheddam sera également sollicité comme professionnel dans une commission d'écoute en kabyle et en arabe au sein de l'ex-RTA. C'est grâce à lui que la chorale du lycée Fadhma-N'soumer est créée. L'idée se propage aux autres établissements jusqu'à sélectionner plus tard les chorales des lycées Amirouche et El Khensa, d'où sortira, par exemple, la célèbre Malika Domrane. Chérif Kheddam prend sa retraite administrative en 1988. Le legs de Chérif Kheddam à la chanson kabyle en particulier et à la chanson et à la culture algériennes en général est inestimable. A la relève de s'en montrer digne.