Après les diverses organisations des droits de l'homme dont Médecins sans frontières, c'est Amnesty International qui accuse les milices libyennes et les nouveaux dirigeants d'avoir procédé à des actes de torture et exécuté des prisonniers proches du pouvoir de Kadhafi. Des délégués d'Amnesty International se sont entretenus en Libye avec des prisonniers incarcérés à Tripoli et ses alentours, à Misrata et à Gheryan, selon un rapport mis en ligne sur son site. En effet, selon les membres d'Amnesty, des prisonniers portaient des marques visibles indiquant qu'ils avaient subi des actes de torture au cours des derniers jours et des dernières semaines, notamment des blessures ouvertes sur le crâne, les bras et les jambes, le dos et d'autres parties du corps. Ces actes de torture sont infligés par des entités militaires et des services de sécurité officiellement reconnus, ainsi que par un grand nombre de milices armées opérant en dehors de tout cadre légal. De nombreux détenus ont raconté aux membres d'Amnesty qu'ils ont subi des tortures, certains étaient trop effrayés pour se confier, craignant des sévices encore plus violents s'ils parlaient, et se sont contentés de nous montrer leurs blessures. Selon Amnesty, les prisonniers sont des Libyens et des ressortissants de pays d'Afrique subsaharienne qui ont raconté qu'ils avaient été suspendus dans des positions contorsionnées, battus des heures durant avec des fouets, des câbles, des tubes en plastique, des bâtons, des chaînes et des barres métalliques, et qu'ils avaient reçu des décharges électriques infligées à l'aide de câbles sous tension et de pistolets semblables à des Taser. Toujours selon Amnesty, les types de blessures observées corroborent leurs témoignages. Les rapports médicaux qu'a pu consulter Amnesty International confirment également le recours à la torture contre plusieurs détenus, dont certains sont morts en détention. La majorité des prisonniers pris pour cibles sont des Libyens qui seraient restés fidèles au colonel Mouammar Kadhafi au cours du récent conflit. Quant aux étrangers, pour la plupart originaires d'Afrique subsaharienne, ils continuent d'être placés en détention de façon aléatoire, notamment en raison de leur situation irrégulière, et sont parfois torturés. Les détenus sont généralement torturés au moment de leur arrestation par des milices armées locales et plus tard lors des interrogatoires, y compris dans les centres de détention officiels. Jusqu'à présent, ils n'ont pas été autorisés à consulter un avocat. Plusieurs d'entre eux ont raconté à Amnesty International qu'ils avaient «avoué» des crimes qu'ils n'avaient pas commis, uniquement pour qu'on cesse de les torturer. À Misratah, les détenus sont torturés dans un centre d'interrogatoire géré par la sécurité militaire nationale (Amn al Jaysh al Watani), ainsi qu'aux sièges des milices armées. Le 23 janvier, les délégués d'Amnesty International se sont entretenus avec des détenus à Misratah, torturés quelques heures auparavant. L'un d'entre eux, toujours incarcéré, a expliqué : «Ce matin, ils m'ont emmené en haut pour m'interroger. Cinq hommes en civil se sont relayés pour me rouer de coups et me fouetter. […] Ils m'ont suspendu par les poignets en haut d'une porte pendant environ une heure, tout en continuant à me frapper. Ils m'ont aussi donné des coups de pied.» Un autre prisonnier a raconté qu'il avait été frappé sur les blessures qui lui avaient été infligées le mois précédent par des miliciens. Voici son témoignage : «Hier, ils m'ont frappé avec un câble électrique, alors que j'avais les mains menottées derrière le dos et les pieds attachés. Ils ont menacé de me renvoyer aux mains des miliciens qui m'avaient capturé, qui me tueraient.» Plusieurs détenus sont morts aux mains de milices armées à Tripoli et aux alentours, et à Misratah, dans des circonstances laissant à penser qu'ils ont été torturés. Les proches d'un ancien policier, père de deux enfants, originaire de Tajura, à l'est de Tripoli, ont raconté à Amnesty International qu'il avait été arrêté par une milice armée locale en octobre 2011 et qu'ils n'avaient pas pu savoir où il se trouvait pendant près de trois semaines, jusqu'à ce qu'il puisse appeler sa femme. Quelques jours plus tard, sa famille a été informée par un hôpital de Tripoli que son corps y avait été transféré. Amnesty International a vu des photos de sa dépouille, qui présentait de graves contusions sur tout le corps et les bras et les jambes, ainsi que des blessures ouvertes sur la plante des pieds, semble-t-il causées par la falaqa (coups assénés sur la plante des pieds), une méthode de torture fréquente en Libye. À la connaissance d'Amnesty International, la dernière personne morte en détention des suites de torture est Ezzeddine al-Ghool, colonel de 43 ans et père de sept enfants, arrêté par une milice armée à Gheryan, à 100 kilomètres au sud de Tripoli, le 14 janvier. Son corps, couvert de bleus et de blessures, a été restitué à sa famille le lendemain. Les médecins ont confirmé qu'il avait succombé à ses blessures. Plusieurs autres hommes détenus à la même période auraient eux aussi été torturés. Huit d'entre eux avaient des blessures graves, qui ont nécessité leur hospitalisation. Amnesty International a reçu des informations concernant des cas similaires sur lesquels elle mène des recherches. Malgré les demandes formulées à maintes reprises par Amnesty International depuis mai 2011, les autorités libyennes de transition, tant au niveau local que national, n'ont pas mené d'enquêtes dignes de ce nom sur les cas de torture et les morts en détention survenues dans des circonstances suspectes. Dans tout le pays, la police et la justice demeurent défaillantes. Tandis que dans certaines régions, il semble que les tribunaux traitent des affaires civiles, les affaires dites «sensibles» en lien avec des enjeux politiques et de sécurité ne sont pas prises en compte. Un éventail d'organes pour la plupart non officiels, n'ayant pas de statut légal, notamment les «comités judiciaires», mènent des interrogatoires dans divers centres de détention, en dehors de tout contrôle du système judiciaire. Devant cet état de fait, Amnesty International invite de toute urgence les autorités libyennes à : ordonner la fermeture de tous les centres de détention non officiels et instaurer des mécanismes chargés de placer tous les centres sous le contrôle des autorités et de surveiller efficacement les procédures et les pratiques en matière de détention ; veiller à ce que soient menées dans les meilleurs délais des enquêtes sur tous les cas recensés ou signalés de torture et de mauvais traitements ; suspendre immédiatement les auteurs présumés de leurs fonctions en rapport avec la détention dans l'attente des conclusions de ces investigations, et lorsque les éléments de preuve recevables sont suffisants ; traduire en justice les suspects dans le cadre de procès équitables, sans recourir à la peine de mort ; garantir que tous les détenus puissent consulter un avocat ; veiller à ce que les prisonniers bénéficient régulièrement d'examens médicaux et à ce que des certificats médicaux décrivant leurs blessures, éventuellement causées par des actes de torture, soient délivrés aux détenus et aux autorités judiciaires. Le rapport d'Amnesty International motiverait sans aucun doute les décisions de plusieurs Etats qui refusent d'extrader des prisonniers pro-Kadhafi aux nouvelles autorités libyennes.