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Le débat interdit ?

L'idée de démondialisation trace son chemin. Apparemment, elle irrite si l'on en juge par les quolibets et noms d'oiseaux dont elle est affublée.
La mobilisation des think tanks et des politiciens émargeant au «Cercle de la raison» ne doit pas étonner. Les forces qui concourent à ce Cercle, ressassent en boucle, malgré la réalité, les bienfaits de la mondialisation. Par contre, on ne peut qu'être surpris que d'autres, au nom de l'idéologie altermondialiste dont le bilan des avancées depuis dix ans confine à l'évanescence, viennent, dans la crainte de perdre le peu qu'il reste de leur fonds de commerce, joindre leur voix aux premiers avec tout autant de mauvaise foi. Mais le débat s'est invité dans la bataille présidentielle. Et c'est bien normal car il porte en lui l'analyse nécessaire du bilan des trente dernières années. Vouloir étouffer un tel débat serait une faute politique majeure. Car ce qui se joue c'est la sortie maîtrisée du tunnel de l'austérité fabriqué à coups de déflation salariale, de délocalisations, d'invention de «contraintes extérieures» recherchées par nos élites et reposant sur une prétendue rationalité supérieure d'essence mondiale, de construction européenne important les formes les plus exacerbées de la mondialisation, souvent au prétexte d'y résister. On se doit de reprendre et d'approfondir la confrontation d'idées portée par le référendum constitutionnel européen. Si la démondialisation interpelle fortement l'Europe, c'est parce que cette région du monde est devenue un concentré - un laboratoire - de la mondialisation et que, loin d'y être douce, elle y concentre tous ses excès. C'est dans cet espace que le commerce de proximité s'est le plus développé, que l'interdépendance y est la plus forte, que des pans entiers de souveraineté nationale ont été transférés, qu'une majorité de pays a décidé de se doter d'une même monnaie et d'une Banque centrale indépendante des gouvernements et qu'enfin des éléments de constitutions économiques se sont successivement empilés (Acte unique, Traité de Maastricht, Pacte de stabilité, etc.) pour être repris dans le corset du Traité de Lisbonne. En s'élargissant à 27 pays, l'Europe a brutalement importé la diversité de mondialisation. C'est pourquoi le débat sur la démondialisation touche tout simplement aux conditions nécessaires à la réalisation d'une rupture avec trente années de néolibéralisme mondialisé. Car peut-on supporter plus longtemps la stratégie délibérément mise en place par le capital pour se rapprocher d'un travail précaire et non protégé et fuir celui qui avait su lui imposer la «contrain-te» des acquis sociaux. Tout fut tenté avec les conséquences que l'on sait, des délocalisations massives à l'organisation de flux migratoires en passant par la libre circulation des capitaux spéculatifs et déstabilisants, le libre-échange généralisé des marchandises, la déflation salariale et son corollaire, l'endettement des ménages, la soumission aux signaux des marchés, internationaux de préférence. Quelques questions centrales émergent avec force de ce débat : On nous explique qu'il faudrait être patient. L'Etat-Nation est blessé, mais il bouge encore, alors qu'une économie mondiale ne serait pas encore instaurée et peinerait à se doter d'une gouvernance globale (ou européenne). Ainsi nous cumulerions les défauts de l'érosion des frontières sans être encore en mesure de bénéficier des avantages de leur dépassement. Cette «transition», qui se déroule depuis une trentaine d'années, n'a pour l'instant accouché que de la crise et peine à prouver le côté salvateur de l'expansion du néolibéralisme à l'échelle du monde. L'attente d'un gouvernement mondial pour résoudre les problèmes engendrés par sa recherche devient insupportable pour les peuples. Se sortir de cette ornière en proposant une véritable issue, c'est, pour tout pays, nécessairement entrer dans un processus de démondialisation. Faut-il attendre que ça change en Europe ou dans le monde pour que cela puisse changer chez nous ? Ou bien, faut-il engager l'action de façon unilatérale en mesurant sa portée conflictuelle et s'y préparer ? Réductrice d'incertitude, l'Europe a toujours servi de gangue gluante pour réduire l'amplitude de l'oscillation du balancier de l'alternance et jouer ainsi le rôle de Sainte Alliance, remplaçant le Mur d'argent des années 1920. Ainsi refuser la démondialisation ou sous-estimer sa portée conflictuelle reviendrait à subordonner tout changement en France à d'éventuelles et bien improbables évolutions européennes ou mondiales. Ce constat conduit à poser la question incontournable de l'exercice de la souveraineté, c'est-à-dire de la nécessaire superposition entre le périmètre où se joue la démocratie et celui de la maîtrise de la régulation des flux économiques et financiers. Le cadre national s'impose. Pourquoi la «relocalisation» sur la région serait à la limite acceptable, l'Europe fédérale souhaitée et la souveraineté nationale vilipendée ? Pourquoi cette haine de l'Etat-Nation qu'il faudrait prendre en tenaille par le bas et par le haut ? Les gauches latino-américaines ont montré que le cadre national pouvait permettre des avancées sociales substantielles, faire tache d'huile et rendre possibles des coopérations. La soumission à une rationalité dite supérieure parce que mondiale crée ce que nos élites appellent la «contrainte extérieure». Celle-ci n'est que le retour de ce qui a été voulu et recherché. La mondialisation qui nous retombe sur la tête c'est celle que l'on a envoyée en l'air à coups de dérégulation, de libre-échange forcené, de privatisations, de délocalisations, de circulation incontrôlée de capitaux et de marchandises, de financiarisation, d'endettement de peuples et d'Etats. Elle se heurte aux acquis sociaux historiquement constitués qui deviennent ainsi pour nos mondialisateurs des «contraintes internes» qui freinent leurs objectifs et dont ils doivent se débarrasser pour obtempérer aux ordres des marchés. La compétition internationale devient l'arme de l'antisocial et dévaste les territoires. Le mérite du débat sur la démondialisation est de bien montrer l'affrontement des logiques des deux con-traintes, l'une fabriquée pour mieux combattre l'autre et d'identifier les gagnants (les facteur mobiles : capital et finance, grandes firmes, maffias) et les perdants (les facteurs fi- xes : peuples et territoires). Les politiques économiques à adopter reviennent au cœur du débat La demande de protection qui monte concerne prioritairement l'ensemble des acquis sociaux engrangés pendant les Trente Glorieuses, annexement ceux du capital national malmené par la concurrence sauvage. Cette période a connu les protections tarifaires, quelques contrôles de change, nombre de dévaluations qui n'ont pas signifié pour autant repli national, fermeture. Croissance, élévation du niveau de vie, plein-emploi ont bien été au cœur de ce qu'on voudrait nous faire regarder aujourd'hui comme une horreur «national-protectionniste». La crise actuelle appelle au retour de l'Etat comme acteur économique majeur, avec un rôle accru aussi bien en termes de périmètre d'action que dans la nature de ses interventions. Enfin, faut-il se tourner vers la satisfaction des besoins du marché intérieur ou vers ceux, erratiques, du marché mondial ? Où sont situées les sources de croissance de notre pays ? Dans notre territoire ou à l'export ? Un pays peut le tenter, mais si tous font de même, l'avantage disparaît. On alléguera qu'il existe une forme de mondialisation désirable, celle des échanges culturels, du tourisme, de la connaissance et des savoirs, de la coopération entre les peuples, de tout ce qui fait la densité de la vie internationale ou d'un espace public en construction à ce niveau. Mais ne la mélangeons pas avec celle qui fait l'objet du débat d'aujourd'hui, à savoir le nécessaire blocage de l'expansion du néolibéralisme à l'espace mondial. Ne fuyons pas ce débat dont nous avons tout à gagner.

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