Repose en paix dans ton village natal, Aït Sidi Athmane ! Nous n'oublierons jamais tes paroles envoûtantes improvisées dans une langue châtiée que tu es le seul à avoir si bien acquise à l'école de la vie. Nous pouvons dire de Benhanafi ce que les Africains ont dit de leurs griots, à savoir que c'est une bibliothèque qui disparaît lorsque l'un d'eux meurt. Nous avons eu déjà l'occasion de consacrer un article à Benhanafi, sur la base d'un petit livre réalisé par une admiratrice de l'œuvre qu'il allait laisser en héritage, d'une éloquence jamais connue. Tous ceux qui se sont branchés sur la chaîne II à ses heures d'émission ont découvert une belle voix musicale et claire, un talent de bien parler qui incite à une écoute attentive, un vocabulaire d'amusnaw. Que de fois, il nous a fait frémir par son générique tiré d'un concerto d'Aranjuez pour guitare et orchestre d'un musicien espagnol, Joaquin Rodrigo, qui a souhaité que son concerto transporte l'auditeur dans un autre espace et un autre temps. Il dit que son œuvre capture «les fragrances des magnolias, le chant des oiseaux et le ruissellement des fontaines» du jardin d'Aranjuez. Est-ce là une coïncidence ou un choix délibéré de Benhanafi ou de la chaîne II pour que le générique corresponde bien à la beauté des paroles du poète et artisan du langage ? Ce qui fait la beauté de Benhanafi Tout son parcours a été admirable. Il a d'abord été commerçant à Tiaret avant d'être choisi par les responsables de l'ALN comme commissaire politique dans cette région. Sa mission avait été assumée avec brio. Il était aussi merveilleusement éloquent. Il savait trouver les mots justes pour rende compte d'un état d'âme, sensibiliser à la douleur des malheureux, rassurer les plus anxieux, apporter du réconfort aux plus désespérés. Benhanafi est avant tout un grand poète en langue amazigh, qui versifiait sans difficulté. La poésie sortait de lui comme d'une source. Mais jamais il n'a bénéficié de la reconnaissance qu'il mérite pleinement pour son immense œuvre, ses capacités à être prolifique et à parler juste. Avant d'être compositeur de chansons pour d'autres chanteurs, poètes, animateurs ou autre du domaine artistique, il a été maître de la langue amazighe acquise sûrement à l'école de la vie, mais à la faveur d'une excellente capacité de concentration et de mémorisation. Quand il se mettait à parler, il rappelle Si Mohand ou Youcef Oukaci qui ont su, en tant qu'aînés dans le genre poétique, donner de leur société une peinture qui a immortalisé des pans entiers de son histoire. La particularité de Benhanafi ce n'est pas d'avoir été un beau parleur, mais d'employer un langage relevé pour traiter de thèmes à caractère moral et en utilisant des expressions ainsi qu'un vocabulaire des plus recherchés, à la manière des imousnawen d'antan, communément appelés «des sages». Avec la disparition de Benhanafi, il n'y a plus d'amousnaw de cette trempe. Dans Culture savante. Culture traditionnelle, Mouloud Mammeri interviewé par Bourdieu, avait dit que dans son village natal, son père et Sidi Lounas, étaient les derniers imousnawen à avoir quitté le monde des vivants vers les années 1970. Puis, plus personne. Il n'y aura pas de relève, mis à part Da L'Mouloud lui-même qui en avait la trempe tout en étant un polyglotte parfait. Un poète chanteur très discret Benhanafi n'a pas choisi de versifier ou de chanter, mais ces arts l'ont choisi ; ils l'ont habité à vie. Il est devenu artisan du langage, versificateur, lexicologue, chanteur, moraliste. Il aurait pu être fabuliste et il en avait les compétences pour mieux se faire connaître. Dans la langue tamazight, il n'a pas dû trouver un partenaire de niveau équivalent pour des échanges d'égal à égal. Pour celui qui a coutume de fréquenter des espaces d'expansion, Benhanafi est unique pour sa capacité à susciter un intérêt particulier auprès du public d'auditeurs qui apprécie les connotations hautement symboliques de ses paroles. Que d'émissions il a dirigées admirablement comme Les chanteurs de demain, qui a vu passer les grandes célébrités de la chanson comme Malika Domrane, Matoub Lounès ! Parmi ceux qui ont fréquenté son école, il y a les chanteurs qui ont révolutionné la chanson kabyle de l'envergure de Chérif Kheddam, Idir, Djamel Chir, Medjahed Hamid et qui se sont formés sous sa coupe. Ces derniers ont composé dans la thématique si chère au maître : la vie sentimentale, l'intimité, l'intériorité, la compassion, l'altruisme. Puis, chacun a volé de ses propres ailes pour se fonder des genres qui les ont le plus motivés. Lui-même a chanté en duo avec Drifa, Ourida, Malha et d'autres qui se trouvaient à ses côtés pour agrémenter ses émissions qu'on n'est pas près d'oublier. Un de ses fans nous a avoué l'avoir croisé en compagnie de ses collègues, au retour de la radio près de la Grande Poste et d'avoir eu envie de le saluer, lui, tout petit de taille et assez fort qui passait discrètement comme tout citoyen effacé. Dommage que l'émission «Af yiri el kanoun» (A l'école du coin du feu) n'ait pas été créée dans les années 1960 ! Elle aurait beaucoup apporté au public d'auditeurs, étant donné ce que ce type d'espace d'échanges rappelle comme souvenirs : veillées autour du coin du feu, réunions de famille pour la transmission des valeurs des aînés aux jeunes, secrets de famille.