Où en est la situation à Ghaza au moment où Israël poursuit ses exactions sous des prétextes fallacieux ? Face à cette situation comment réagissent les Ghazaouis ? La chute de Moubarak a-t-elle eu un impact sur la politique égyptienne vis-à-vis des Palestiniens, notamment avec l'ouverture du passage de Rafah ? Dans cette atmosphère la réconciliation inter-palestinienne peine encore à se dessiner d'autant plus qu'elle fait face à beaucoup d'obstacles. Questions que nous avons étayées avec le Dr palestinien Ziad Medoukh, poète, professeur, responsable du département de français à l'université Al-Aqsa de Ghaza et coordinateur du Centre de la paix de cette université. Le Dr Ziad Medoukh est l'auteur de nombreuses publications concernant l'enseignement du français en Palestine et aussi la non-violence comme forme de résistance en Palestine. Il est très attaché aux principes de la démocratie, de la liberté, des droits de l'homme et de la Francophonie et a été fait Chevalier de l'Ordre des palmes académiques de la République française en 2011. Il est le premier citoyen palestinien à obtenir cette distinction. Conférencier infatigable sur Ghaza et la Palestine, il multiplie, surtout en France et en Europe et autant qu'il le peut, les rencontres avec les associations et les réseaux de jeunes chaque fois que ses activités académiques et professionnelles lui permettent de franchir les frontières de Ghaza. La Nouvelle République : Comme vous êtes à Ghaza, quel état des lieux actuel pouvez-vous dresser pour les lecteurs algériens ? Ziad Medoukh : La situation actuelle dans la bande de Ghaza est très difficile à tous les niveaux. Le blocus israélien est toujours imposé par les forces d'occupation israélienne. Les passages qui relient Ghaza à l'extérieur sont fermés et ne s'ouvrent que d'une façon arbitraire. Le chômage touche plus de 60 % de la population et la situation économique est dure : il y a une pénurie de carburants et des coupures d'électricité permanentes ; chaque foyer n'a le droit qu'à six heures d'électricité par jour, rien ne bouge, rien ne change à Ghaza. L'aspect le plus grave est l'absence de perspectives pour un pour les 1,6 million d'habitants qui souffrent de cette situation et qui sont abandonnés à leur sort par une communauté internationale indifférente. Israël trouve à chaque fois des prétextes fallacieux pour mener des incursions à Ghaza sans objectifs apparents. Pourrait-on supposer là que c'est une guerre psychologique ? La seule raison qui pousse Israël à mener des bombardements, des attaques et des incursions dans la bande de Ghaza est que personne ne bouge. Il n'y a pas de réactions internationales fortes de la part des pays arabes et européens dits libres pour arrêter ces agressions. Israël profite de la division entre factions palestiniennes pour poursuivre ses agressions contre les civils de Ghaza. L'Etat hébreu utilise toujours le prétexte que des missiles lancés de Ghaza tombent sur des localités israéliennes pour riposter avec violence, alors que, parfois, Israël provoque les forces de résistance qui se trouvent à Ghaza pour entamer une nouvelle une bataille disproportionnée entre une armée puissante et de petits groupes sans moyens de résistance. Quelles sont en général les réactions des Ghazaouis face à ces agressions ? Les Ghazaouis n'ont pas d'autre choix que de résister et de rester attachés à leur terre en dépit de toutes ces agressions israéliennes. C'est toujours la population civile qui est scarifiée. Les factions ripostent par des roquettes qui ne provoquent pas de dégâts du côté israélien, mais c'est leur seule façon de répondre à ces bombardements aveugles d'une occupation qui défie le droit international. En général, la population ghazaouie est confiante et essaye de résister face à cette situation d'injustice. Depuis la chute de Hosni Moubarak comment se présente la situation du côté de Rafah ? Après la chute de Hosni Moubarak, les Ghazaouis ont enregistré une petite amélioration au niveau du passage de Rafah, le seul passage qui relie la bande de Ghaza à l'extérieur, mais c'est insuffisant. Ce passage est ouvert sept heures par jour et six jours par semaine. Le nombre de passagers est limité à 400 personnes par jour ; or, il doit être ouvert 24 heures sur 24. A vrai dire, il faut attendre les résultats de l'élection présidentielle en Egypte pour espérer une évolution de la situation. On a vu récemment avec la crise de l'électricité et du carburant que la situation en Egypte est encore instable et qu'il n' y a toujours pas de politique claire de la part de l'actuel gouvernement égyptien vis-à-vis du dossier de Ghaza, sans oublier également que l'Egypte a signé un accord de paix avec Israël et qu'elle a des engagements dans ses relations avec ses voisins. Il faut ajouter que la division entre Palestiniens et la situation d'instabilité à Ghaza ont beaucoup influencé cette politique égyptienne. Récemment, on a appris que plusieurs sujets sont débattus en Palestine : représentation, stratégie(s) à adopter pour leur libération, nature du futur Etat et de ses relations avec les révolutions arabes, entre autres ? Pouvez-vous nous en dire davantage ? Tant qu'il n'aura pas une unité nationale palestinienne, il n'y aura pas une stratégie efficace pour les Palestiniens pour affronter cette réalité. C'est difficile de continuer à lutter afin de libérer la Palestine avec deux projets opposés, l'un en Cisjordanie, très engagée dans un processus de paix qui n'a rien donné depuis 18 ans de négociations, et l'autre à Ghaza, qui prétend être une résistance militaire mais qui s'est transformée en trêve au service de l'occupant qui mène des incursions à sa guise. Le printemps arabe a démontré aux Palestiniens qu'ils doivent absolument bouger et sortir de cet enfermement dans ces deux projets. Il faut que les Palestiniens optent pour une autre stratégie, en l'occurrence la résistance populaire, la résistance par la non-violence qui pourrait faire pression sur l'occupant et avoir plus de solidarité internationale avec les revendications légitimes du peuple palestinien. Quel impact pourraient avoir ces débats que ce soit sur le plan interne (inter-palestinien) ou sur le plan externe (vis-à-vis d'Israël) ? Je pense que la seule solution dans ce cas est d'avoir une mobilisation populaire plus large contre les deux partis rivaux afin d'avancer dans la réconciliation, sinon, il est nécessaire de recourir à une troisième alternative en Palestine, et ce, par la création d'un mouvement populaire à même de proposer, d'une part, des solutions plus efficaces pour les problèmes économiques actuels à Ghaza comme en Cisjordanie et, d'autre part, de choisir une stratégie commune contre l'occupation et ses mesures, même si ce choix est prématuré vu la domination de ces deux partis sur une grande partie du peuple palestinien. Quel est la représentativité actuelle de l'OLP par rapport à l'Autorité paslestinienne ? L'OLP a été créée en 1964 pour libérer la Palestine et se compose de plusieurs partis politiques, notamment le Fatah et la gauche palestinienne. Cette organisation a besoin de vraies réformes et un grand nombre de ses responsables se trouvent à l'étranger. L'Autorité palestinienne a été créée en 1994 avec le retour de quelques directions de l'OLP en Palestine après les accords d'Oslo. Actuellement, elle traverse une crise économique, et il y a beaucoup de débats sur la possibilité de la dissoudre afin de mettre Israël devant ses responsabilités, c'est-à-dire un Etat qui occupe les territoires palestiniens. L'OLP restera une organisation qui représente les Palestiniens à l'extérieur comme à l'intérieur, par contre l'Autorité palestinienne est là pour s'occuper des Palestiniens de Ghaza et de Cisjordanie. Parmi les points de divergence entre les deux partis rivaux, le Fatah et le Hamas, il y a les réformes au sein de l'OLP et l'Autorité palestinienne. En dépit de la signature d'un accord à Doha entre Mahmoud Abbas et Khaled Mechaal le 6 février dernier, «la dernière série de négociations entre le Fatah et le Hamas a complètement échoué à combler le fossé entre les deux organisations rivales», écrivait récemment un analyste palestinien. Quels seraient, d'après vous, ces points de divergence qui pourraient éventuellement faire obstacle à cette réconciliation ? Les obstacles à cette réconciliation se résument ainsi : il n'y a pas une vraie volonté de la part des deux partis d'avancer dans la réconciliation. Les deux partis ont des projets différents et des programmes opposés. Il y a une pression extérieure de la part des pays et des organisations sur eux pour ne pas avancer dans la réconciliation et cela pour des intérêts régionaux et stratégiques. Les deux partis ont compris que le peuple ne bouge pas assez pour exiger cette réconciliation, mais surtout qu'il n'y a pas un troisième projet alternatif qui pourra les remplacer. Les deux partis veulent garder et maintenir leur pouvoir, à Ghaza pour le Hamas et en Cisjordanie pour le Fatah. Les révolutions arabes ont créé une nouvelle donne : la priorité dans ces pays arabes est d'avoir un changement politique dans une période de transition qui pourrait être longue, ce qui fait que la cause palestinienne est passée au deuxième rang. Quelle lecture peut-on faire, d'après vous, du jeu politique de Mahmoud Abbas tant sur le plan interne (vis-à-vis des Palestiniens) que sur le plan externe (vis-à-vis d'Israël) ? Mahmoud Abbas est un homme politique, il est très engagé avec Israël dans un projet de négociation et dans un processus de paix en plein échec et il n'a pas d'autre choix. Il s'oppose à la résistance militaire, car il pense qu'elle n'est pas utile dans la conjoncture actuelle. Je pense que Mahmoud Abbas a beaucoup de respect pour sa politique de réforme, y compris à Ghaza. Aussi, avec ses relations internationales élargies et sa politique modérée, il pourra avoir beaucoup d'acquis pour la cause palestinienne, mais la situation actuelle dans le monde, notamment dans les pays arabes, l'oblige à être prudent dans ses prises de décision pour faire avancer le processus de paix. L'Autorité palestinienne essaye de museler la presse sous couvert de «respect de la primauté du droit». Récemment, plusieurs journalistes ont été emprisonnés. N'est-ce pas là une erreur fondamentale face à un régime sioniste qui n'a jamais cessé sa guerre médiatique ? Pour les droits de l'homme, la liberté d'expression et la démocratie dans les territoires palestiniens, je pense qu'il reste un long chemin à parcourir, à Ghaza comme en Cisjordanie. Il y a beaucoup d'obstacles et plusieurs journalistes sont emprisonnés. La liberté d'expression est touchée et je pense que la division a des conséquences graves, car le Hamas ne peut être critiqué par les journalistes de Ghaza et le Fatah par ceux de Cisjordanie. Toutefois, il faut remarquer qu'en matière de liberté d'expression, les choses sont plus évoluées en Cisjordanie, vu l'ouverture et la présence de plusieurs agences de presse et journalistes étrangers, qu'à Ghaza, une région enfermée et sous blocus israélien. A ce propos, des efforts doivent être faits des deux côtés. Le problème actuel est que, dans les deux gouvernements, la priorité est accordée à la sécurité intérieure, alors que les autres secteurs sont négligés. Donc, les droits de l'homme et la liberté d'expression, voire la liberté des journalistes demeurent un sujet délicat pour les deux partis.